Rapport d'information relative à l'organisation de la santé mentale
LE DOSSIER DU MOIS
Novembre 2019 :
Rapport d’information en conclusion des travaux de la mission relative à l’organisation de la santé mentale, Commission des Affaires Sociales, Septembre 2019
Pour lire le rapport dans son intégralité :
http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/rap-info/i2249.pd
INTERVIEW
RAPPORT SUR LA SANTÉ MENTALE
LE POINT DE VUE DE :
Frédéric DENIS
MCU-PH DE SANTÉ PUBLIQUE, UNIVERSITÉ DE NANTES-CHU DE TOURS
MEMBRE DU CONSEIL D'ADMINISTRATION DE L'ASSOCIATION NATIONALE POUR LA PROMOTION DES SOINS SOMATIQUES EN SANTÉ MENTALE
MEMBRE DU COMITÉ SCIENTIFIQUE DU CENTRE COLLABORATEUR DE L'OMS EN SANTÉ MENTALE
MEMBRE DE LA SFSP
Frédéric Denis, pouvez-vous nous dire en quelques mots ce que vous avez pensé de ce rapport ?
Ce rapport repose sur le travail d’une mission qui a fait la démarche de rencontrer des professionnels sur le terrain. Il dresse ainsi un état des lieux de la psychiatrie en France. On ne peut que partager les constats déjà établis et approuver le décloisonnement entre le somatique et la santé mentale. Mais l’on reste un peu sur sa faim en termes de diagnostic. Il y a peu de chiffres ou d’indicateurs permettant d’appréhender précisément la situation. Il faut dire que les études dans le domaine sont rares. Un oubli majeur est dommageable, la pédopsychiatrie. On peut regretter, enfin, l’effet patchwork du texte, le manque d’un axe fort donnant du sens à tout cela.
Trouvez-vous néanmoins que des éléments nouveaux sont apportés ?
Ce qui me gêne n’est pas tant la redite, mais plutôt le caractère euphémique du propos qui a tendance à minimiser les faits. La situation est catastrophique, la psychiatrie est au bord du gouffre. Cette crise ne peut être réduite à une problématique d’organisation du système de soins, ses causes ont des origines bien plus profondes. On observe un désinvestissement de la profession médicale pour la psychiatrie, auquel s’ajoute le burn-out d’un grand nombre de professionnels exerçant dans cette discipline. Voyez-vous, 17,6 % des postes d’interne en psychiatrie n’ont pas été pourvus cette année et beaucoup de postes restent vacants dans les hôpitaux ! Il faut aussi prendre en compte l’émergence d’une problématique sociétale majeure, avec les migrations, la précarisation des populations, l’affaiblissement des familles, qui s’accompagnent d’un accroissement des problèmes de santé mentale. Devant l’ampleur des besoins, la réponse ne peut pas être qu’organisationnelle.
Cependant, les propositions avancées vous semblent-elles pertinentes ?
La nomination du délégué interministériel à la santé mentale, Franck Bellivier, est très positive. Elle emporte l’unanimité. C’est le signe d’une réelle volonté politique de faire avancer les choses. La création d’une Agence nationale de santé mentale serait aussi une avancée dans la mesure où elle disposerait d’un réel pouvoir d’action. La mission propose en outre de réorganiser l’offre de soins autour du patient. La psychiatrie « communautaire » est promue, mise en avant avec l’exemple de Trieste en Italie, mais je ne pense pas que cette approche puisse tout résoudre. Pour désengorger les services de psychiatrie, il faut avant tout mettre de l’argent sur la table et développer les prises en charge en amont et en aval. Or, il y a un manque criant de psychiatres, et tout bonnement on ne peut pas faire de psychiatrie sans psychiatres. Donc je pense que les enjeux ne sont plus là : il faut sortir la psychiatrie de l’ornière !
Évoquant des « prises en charge catastrophique », le rapport ne juge-t-il pas trop sévèrement les psychiatres ?
Le constat n’est pas infondé car il y a une grande hétérogénéité des prises en charge. Certains patients attendent des heures sur un brancard, sont pris en charge dans des situations d’indignité totale ! Il faut cependant éviter d’opposer les professionnels et les usagers, l’objectif étant qu’ils deviennent partenaires. Redonner du pouvoir aux usagers, oui mais cela n’est pas si simple ! Les professionnels sont tellement en souffrance. Pour qu’ils restent bienveillants, il faut aussi que leurs contextes d’exercice ne soient pas maltraitants. Il faut bien reconnaître que certains psychiatres ont fait des erreurs de positionnements, mais les jeunes diplômés ne sont pas redevables de cette histoire. Au-delà d’une attention aux revendications des associations d’usagers, c’est une relation de confiance qu’il faut reconstruire. Plus largement, un vrai changement de paradigme doit s’opérer afin de déstigmatiser la santé mentale dans notre société.
L’hétérogénéité des prises en charge est aussi liée à des inégalités territoriales…
Oui, cela est dû à une inégale répartition des ressources, mais aussi à l’investissement variable des professionnels du secteur. Cette situation s’est installée du fait d’un manque de courage politique. Les équipes subissent aussi les effets d’incohérences de gestions. Dans certains établissements, le nombre de lits a été réduit alors même que les solutions d’aval n’avaient pas été développées. Aussi, la mission propose de développer les Conseils locaux en santé mentale (CLSM). Ces solutions sont intéressantes, mais montrent leurs limites. Force est de constater que malgré son antériorité ce dispositif est encore très peu développé sur le territoire. Il serait préférable de chiffrer les apports financiers nécessaires, afin de ne pas en rester à un effet d’annonce.
On observe un désinvestissement de la profession médicale pour la psychiatrie, auquel s’ajoute le burn-out d’un grand nombre de professionnels exerçant dans cette discipline.
POUR ALLER PLUS LOIN
- Communiqué de presse SNJMG
- Article de "Le quotidien du médecin"
- Prénurie de psychiatres praticiens hospitaliers
- Etat des lieux des CLSM
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