LE DOSSIER DU MOIS
MARS 2020 :
« Rapport d’information fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable par le groupe de travail sur les déserts médicaux »
Hervé Maurey, Jean-François Longeot, Sénat
Pour lire l’article dans son intégralité :
https://www.senat.fr/rap/r19-282/r19-2821.pdf
INTERVIEW
Comment resorber les déserts médicaux?
LE POINT DE VUE DE :
Catherine Mangeney
Socio-démographe, chargée d’études sénior à l’Observatoire régional de santé d’Île-de-France
Vous travaillez spécifiquement sur les problématiques d’accessibilité des soins dans les territoires. Quelle a été votre impression à la lecture de ce rapport ?
Tout d’abord, il faut avoir à l’esprit que ce rapport est loin d’être le premier sur le sujet. Alors que l’on était à peine en train de sortir d’une période où l’offre médicale était jugée trop importante, en 1997, un premier rapport de l’IGAS commençait à pointer de potentielles difficultés à venir. Les rapports du professeur Berland en 2002 puis en 2005 rebondissaient sur ce « risque de relative pénurie médicale » localisée. D’autres rapports ont suivi : ceux de Charles Descours ou Marc Bernier en 2003 puis 2008, d’Élisabeth Hubert en 2010, de Philippe Vigier depuis 2011, des sénateurs Cardoux et Daudigny en 2017 pour n’en citer que quelques-uns. Il y est de moins en moins question de « risque potentiel » et de plus en plus de « réelle pénurie », de « situation très dégradée si ce n’est totalement alarmante ». Les termes employés par les sénateurs Maurey et Longeot sont particulièrement virulents : « scandale démocratique », « atteinte au pacte républicain », « bombe à retardement ». Soulignant que cette thématique s’est invitée à l’ordre du jour du « Grand débat national », ce rapport a le mérite d’alerter une nouvelle fois sur cette question sensible que la succession de mesures et réformes engagées jusqu’à présent n’a pas réussi à résorber. Au contraire, les problèmes de démographie médicale tendent plutôt à s’aggraver.
Donc la problématique ne date pas d’hier…
L’inquiétude face aux difficultés d’accès aux soins a émergé en France au début des années 2000. En cause la diminution des effectifs médicaux, la baisse du niveau d’activité des médecins, l’augmentation des besoins de soins liée au vieillissement et au développement des maladies chroniques... mais aussi l’inégale répartition des professionnels de santé sur le territoire. Touchant d’abord les zones rurales, puis les quartiers défavorisés et les villes moyennes, les difficultés d’accès aux soins semblent aujourd’hui n’épargner aucune région de France. De fait, il importe de considérer la complexité des dynamiques territoriales dans lesquelles s’inscrivent les processus de désertification médicale. Cette dernière doit notamment être mise en perspective avec le retrait des services publics ou privés sur les territoires. Plantu a merveilleusement résumé la situation par un seul dessin où il montre un médecin déconfit enjoint, par un édile de la république, à s’installer dans un village où école, poste et commissariat viennent de fermer ! À ce propos, il est intéressant de souligner que le rapport des sénateurs Maurey et Longeot émane non pas d’une commission en charge des questions sociales ou sanitaires mais d’une commission relative à l’aménagement du territoire et au développement durable.
Peut-on résorber ces inégalités territoriales sans recours à des mesures coercitives ?
Certains semblent penser que non. L’instauration de mesures coercitives est régulièrement revendiquée, qu’il s’agisse d’obliger les médecins, et notamment les jeunes médecins, à s’installer pour un temps donné en zone « déficitaire en offre de soins » ou qu’il s’agisse de limiter l’installation des médecins dans des zones identifiées comme « sur-dotées » comme le proposent les sénateurs Maurey et Longeot dans le présent rapport. Une chose est sûre, la corporation médicale, puissante, est réticente aux mesures contraignant le lieu d’installation. Les mesures coercitives passent mal et les tentatives de les instaurer ont été ajournées.
Des mesures de régulation des lieux d’installation ont pu être instaurées pour d’autres types de professionnels de santé, comme les infirmiers libéraux par exemple. Ces mesures semblent avoir été efficaces pour limiter les installations en zones sur-dotées, mais plutôt au bénéfice des zones intermédiaires que des zones sous-dotées. C’est l’argument principal des détracteurs de la coercition. D’autant plus que nous sommes aujourd’hui dans une période de « crise des vocations » et que la puissance publique s’essaie depuis plusieurs années à rendre la pratique de la médecine générale libérale notamment plus attractive. Ainsi, il n’est pas sûr que la problématique des déserts médicaux puisse être résolue par une mesure « miracle » de quelque nature qu’elle soit. Il convient certainement de continuer à actionner une pluralité de leviers, comme l’accompagnement de jeunes issus des secteurs ruraux ou défavorisés à s’engager dans des études de médecine, le développement des exercices pluriprofessionnels coordonnés, du partage de tâches et de compétences, de la télémédecine… Le faire avec les médecins et pas contre les médecins semble être une voie que le rapport lui-même préconise.
Les données de recherches existantes sont-elles assez mobilisées ?
Il faut bien reconnaitre que les sénateurs Maurey et Longeot ont mobilisé un panel très large d’études. Pour autant, on perçoit la difficulté à cadrer le sujet : tantôt sont présentés des chiffres de démographie médicale générale, tantôt sont mis en avant uniquement des densités de médecins généralistes libéraux. On parle de distance d’accès à certains soins, de densité pour d’autres, d’accessibilité également. Je pourrais citer d’autres exemples. Mais tous souligneraient la nécessité, pour l’ensemble de la communauté, de préciser les concepts et les indicateurs utilisés et d’évaluer les objets scientifiques ou statistiques mobilisés pour étayer les constats. L’évaluation des différentes mesures engagées est également une réelle nécessité.
Touchant d’abord les zones rurales, puis les quartiers défavorisés et les villes moyennes, les difficultés d’accès aux soins semblent aujourd’hui n’épargner aucune région de France. Il importe de considérer la complexité des dynamiques territoriales dans lesquelles s’inscrivent les processus de désertification médicale.
POUR ALLER PLUS LOIN
Mangeney C., Les déserts médicaux en Île-de-France : de quoi parle-t-on ? Quels leviers d’action ?, rapport de l’Observatoire régional de santé d’Île-de-France, mars 2018.
Cardoux J.N. et Daudigny Y., Accès aux soins : promouvoir l’innovation en santé dans les territoires, rapport au Sénat n°686, 26 juillet 2017.
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