Dès le début de la pandémie, la vaccination contre la Covid-19 est apparue comme un espoir aux perspectives lointaines. Pourtant, à peine un an après les premiers cas identifiés dans le monde, le vaccin est là, et il sera progressivement disponible. Le SARS-CoV-2 se révèle donc comme un virus imprévisible, entraînant des bouleversements de tous ordres. Face à une cinétique de l’épidémie souvent inattendue, ce virus interroge chaque jour la santé publique, qui se doit d’apporter en temps réel des réponses adaptées. À l’échelle d’une nation, c’est d’une extrême difficulté, chacun en est conscient. Cependant, en France, pays encore fortement centralisé, la gestion de l’épidémie a sous-estimé les capacités de réflexion, de collaboration et d’initiative des acteurs locaux. Ils se sont pourtant organisés pour faire face aux difficultés les plus criantes, comme celles des publics dont la précarité a été aggravée, et parfois déclenchée, par la crise. Ces acteurs locaux peuvent et veulent être davantage partie prenante. La campagne de vaccination, comme le « tester, alerter, protéger », ne rencontreront le succès qu’en s’ancrant dans les milieux de vie. La promotion de la santé, approche intersectorielle et participative de la santé publique, apporte un éclairage et permet d’élaborer, localement, des moyens d’agir face à cette crise.
Le déploiement de la vaccination est l’un des enjeux majeurs pour contrôler l’épidémie et ses conséquences. Sa mise en oeuvre se positionne cependant dans un climat d’interrogation du grand public, des acteurs de la santé, de l’action sociale, de l’éducation, mais aussi des décideurs dans les territoires. Trois éléments majeurs permettent de l’expliquer. D’abord, comme évoqué précédemment, la crise de la Covid-19 a créé beaucoup d’incertitudes face à ce virus « indiscipliné ». Ensuite, l’adhésion au geste vaccinal est depuis de nombreuses années l’une des plus faibles en France par rapport à la plupart des autres pays. C’est une longue histoire à rebondissements, qui s’échelonne au fil du temps1 : les vaccins ont été accusés de provoquer des effets secondaires majeurs. La réfutation scientifique de ces accusations n’a pas fait disparaître ces doutes. Aujourd’hui, les craintes s’exacerbent face à des vaccins accessibles dans des délais record, utilisant pour certains des technologies totalement nouvelles et destinés à être administrés rapidement. La troisième composante, susceptible d’activer le doute, est une confiance ébranlée dans les scientifiques. Les débats contradictoires et très médiatiques se sont développés souvent hors des espaces habituels d’échanges au sein du monde de la recherche. Ils ont nourri l’émergence de thèses dites « complotistes ». Si cette fragilisation de l’information sur les connaissances scientifiques n’est pas nouvelle, elle a pris, à l’occasion de cette crise, des
dimensions jusqu’ici rarement atteintes2.
Si au début de la première vague, l’urgence était de prendre en charge les personnes atteintes de formes graves liées au SARS-CoV-2, l’articulation ville/hôpital/acteurs sociaux et de la prévention a été insuffisamment mobilisée pour gérer des parcours de santé adaptés en amont comme en aval des établissements publics de soin. Cette régulation a rarement été opérationnelle. En France, l’organisation ville/hôpital est encore déficiente et peu organisée3. Une meilleure adaptation aurait permis, non seulement une prise en charge plus adéquate, mais également une offre de santé plus efficiente, entre un monde hospitalier « en surchauffe », des acteurs du soin primaire parfois sousutilisés et des intervenants sociaux ou du champ de la prévention peinant à trouver leur place, chacun restant dans son couloir habituel d’intervention.
Face à ces difficultés, certains ont mis en place des leviers inédits reposant sur la créativité, l’innovation sociale et des dialogues nouveaux entre disciplines et acteurs différents (santé/social/éducation et élus/citoyens engagés). Ils se sont souvent développés sur les territoires de proximité avec le soutien des collectivités territoriales. Ils ont permis d’instaurer des collaborations inédites au service de la santé et du bien-être de la population. Les exemples de ces initiatives remarquables sont nombreux et témoignent à la fois de la richesse du tissu associatif dans notre pays, et du rôle prépondérant des collectivités locales et territoriales dans la gestion de la crise sanitaire, en agissant sur les déterminants des inégalités sociales de santé4. Au regard de cette réalité, de nombreuses voix ont émergé pour valoriser et développer ces approches. Elles n’ont pas été totalement entendues. Dans une note du Conseil pour l’engagement des citoyens (CEP) de la Haute autorité de santé (HAS) intitulée « Stratégie vaccinale contre la Covid-19 »5, il était formulé comme recommandation n° 1 : « L’acceptabilité sociale de la vaccination, et notamment son organisation, doivent être discutées avec des groupes représentatifs des populations concernées, leurs parties prenantes ou par voie de consultation publique » et de préciser que le CEP « observe qu’à plusieurs reprises la formulation des attentes et préférences des citoyens a été rappelée comme une dimension indispensable dans la gestion publique de la crise de la Covid-19, par l’avis du Comité consultatif national d’éthique, par le président du Conseil scientifique Covid-19, la Conférence nationale de santé et de nombreuses expressions des associations d’usagers du système de santé ». Alors que la campagne de vaccination est déjà lancée, des instances de concertation citoyenne spécifiques se mettent en place dans l’urgence : un Comité citoyen du Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale et plusieurs dispositifs au sein du Conseil économique, social et environnemental (une Commission temporaire pour piloter le dispositif et organiser la consultation de toutes les parties prenantes, un Collectif de citoyens pour partager les préoccupations et interrogations de la société française et une plateforme deconsultation pour permettre l’expression du plus grand nombre). Pourront-elles influencer et guider significativement des orientations stratégiques déjà en cours de déploiement ?
En même temps qu’une confiance à reconquérir, la solidarité doit être au coeur des démarches. La crise a exacerbé les inégalités sociales de santé. C’est le constat partagé tant par les grandes associations agissant auprès des publics les plus vulnérables que par les trop rares équipes de chercheurs travaillant sur ce sujet. Cette crise touche donc de plein fouet ces publics. Elle le fait à travers les conséquences directes de la maladie de la Covid-19, mais aussi indirectement, par l’accentuation massive de la pauvreté. Beaucoup l’ont souligné, un habitat indigne, l’exposition plus forte à travers des emplois de services précaires mais essentiels, l’utilisation des transports en commun dans de mauvaises conditions… fragilisent une population déjà fortement en difficulté6. Pourtant, quand les autorités sanitaires parlent de donner la priorité pour la vaccination aux publics les plus fragiles, elles évoquent à juste titre les sujets âgés et les personnes atteintes de pathologies chroniques, mais ne mentionnent pas les publics socialement vulnérables. Dans son document « Stratégie de vaccination contre le Sars-Cov-2 : Recommandations préliminaires sur la stratégie de priorisation des populations à vacciner »7, la HAS suggère seulement dans une quatrième phase cette priorisation : « Pourront être vaccinées les personnes vulnérables et précaires (sans domicile fixe) ou encore vivant dans des collectivités où les conditions d’application des mesures barrières sont rendues plus difficiles (prisons, établissements psychiatriques, foyers) et les professionnels en contact régulier avec elles, dont les travailleurs sociaux ». Dans l’annonce faite par le Premier Ministre, le déploiement de la stratégie vaccinale est séquencé en trois phases. Les publics socialement vulnérables ne sont pas cités, alors que la même HAS précise au sujet du rôle des inégalités socio-économiques face à l’épidémie Covid-19 : « La littérature documente le rôle joué par ces facteurs : le risque d’infection, d’hospitalisation et de décès attribuables à la Covid-19 est plus important dans certains groupes de minorités ethniques, et des populations avec statut socio-économique plus faible ». Pour le succès de la campagne de vaccination, il sera nécessaire d’impliquer les associations, les acteurs sociaux de proximité, les collectivités territoriales, sans les cantonner au rôle de relais d’une stratégie nationale descendante, dont les modalités ne pourront convenir ni à tous les contextes ni à tous les publics. Cette adaptation est d’autant plus nécessaire qu’elle doit permettre d’éviter toute stigmatisation.
De manière générale, les approches ascendantes (« bottom-up ») et l’implication des collectivités locales et territoriales, notamment des communes, perçues comme proches, seront des leviers essentiels. De même, il apparaît nécessaire de réfléchir à une stratégie de communication de terrain, éthique et efficace, en complément des campagnes de communication nationales sur le sujet. L’implication réelle et précoce des niveaux locaux, bien au-delà du rôle de relais d’informations nationales, est capitale pour optimiser le déploiement de la vaccination contre la Covid-19 et pour prendre en compte les inégalités sociales de santé, que la campagne de vaccination ne doit pas aggraver. Dans les démarches de proximité, indispensables au déploiement d’une politique de solidarité, il sera essentiel de s’appuyer sur plusieurs leviers existants comme les Contrats locaux de santé (plus de 400 en France) qui permettent de déployer des politiques de santé actives en proximité, très orientées vers la promotion de la santé et la prévention. Ils sont portés par des accords conventionnels, principalement entre les agences régionales de santé et les collectivités locales, mais associent de nombreux autres acteurs. Ces contrats constituent des espaces d’action adaptés pour développer une politique d’assurance ou de réassurance par rapport à la vaccination. Par ailleurs, les dispositifs de regroupement pluridisciplinaire des professionnels de santé, type maisons de santé, centres de santé ou communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), sont également des organisations qui permettent de porter une parole de confiance sur la vaccination et de promouvoir activement le geste vaccinal dans les territoires. Si le déploiement de la stratégie vaccinale est une nouvelle étape délicate et complexe dans la poursuite de la lutte contre le SARS-CoV-2, il ne pourra se faire sans une confiance partagée et une solidarité effective. Les actions mises en oeuvre dans le champ de la promotion de la santé ont apporté des réponses concrètes au cours des derniers mois. Malheureusement, elles n’ont pas toujours été soutenues à la hauteur des enjeux de la crise actuelle. Dans la nouvelle étape liée à la mise à disposition du vaccin et à l’appropriation de l’importance du geste vaccinal pour tous, les approches de promotion de la santé peuvent structurer un ensemble de stratégies préventives à même de favoriser l’adhésion des professionnels et du public.
1 Raude J, Mueller J. Les attitudes des Français face à la vaccination : une évolution préoccupante. Médecine 2017;13(4):171-4. Doi : 10.1684/ med.2017.195.
2 MacDonald NE. Les fausses nouvelles et les attaques des négateurs scientifiques contre les vaccins. Que pouvez-vous faire ? Relevé des maladies transmissibles au Canada 2020;46(11/12):486-90. Doi : 10.14745/ccdr.v46i1112a11f.
3 Baudier F. Crise à l’hôpital et dans les EHPAD, même combat : abattons les murs ! Santé Publique 2019;31(2):293-5. https://doi.org/10.3917/ spub.192.0293.
4 Fabrique Territoires Santé, Élus Santé Publique et Territoires, Réseau français des villes santé OMS. Covid 19 et lutte contre les inégalités : pour un véritable soutien aux dynamiques territoriales de santé. Paris : ESPT, 2020, 4 p. En ligne : https://espt.asso.fr/wp-content/uploads/2020/04/ CP-FTS-ESPT-avril-2020.pdf.
5 Stratégie vaccinale contre la Covid-19. Saint-Denis La Plaine : Haute autorité de santé, 2020, 8 p. (Avis n° 3/2020 du Conseil pour l’engagement des usagers). [Visité le 23/12/2020]. En ligne : https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2020-11/has_66_avis_ceu_ strategie_vaccinale_covid_2020_11_05_mel_2020-11-09_10-30-53_177.pdf.
6 Bajos N, Warszawski J, Pailhé A, Counil E, Jusot F, Spire A, Martin C, et al. Les inégalités sociales au temps du COVID-19. Questions de santé 2020;40:12 p. [Visité le 23/12/2020]. En ligne : https://www.iresp.net/wp-content/uploads/2020/10/IReSP_QSP40.web_.pdf.
7 Stratégie de vaccination contre le Sars-Cov-2 : Recommandations préliminaires sur la stratégie de priorisation des populations à vacciner. Validé par le Collège le 27 novembre 2020. Saint-Denis La Plaine : Haute autorité de santé, 2020, 58 p. (Évaluer les technologies de santé). [Visité le 23/12/2020]. En ligne : https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2020-11/strategie_de_vaccination_contre_le_sars-cov-2_2020-11-30_10-40-59_242.pdfsars-cov-2_2020-11-30_10-40-59_242.pdf.
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