Démocratiser le sport en France
LE DOSSIER DU MOIS
AVRIL 2021 :
« Proposition de loi visant à démocratiser le sport en France adoptée par l'Assemblée Nationale le 19 mars 2021 »
Texte déposé par la députée Céline Calvez et ses collègues le 26 janvier 2021
Pour lire la proposition dans son intégralité : https://www.senat.fr/leg/ppl20-465.pdf
INTERVIEW
Démocratiser le sport en France
LE POINT DE VUE DE :
Mathieu Vergnault
ENSEIGNANT EN ACTIVITÉ PHYSIQUE ADAPTÉE
PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION SFP-APA
Le 19 mars 2021, l'Assemblée Nationale adopte une proposition de loi visant à démocratiser le sport en France, pouvez-vous en détailler les grandes lignes et ce que cela implique ?
La proposition de loi possède plusieurs axes bien distincts. L’un d’eux concerne l’inscription du sport dans le processus de développement durable ; une thématique de plus en plus étudiée dans la littérature scientifique, en lien avec l’impact des compétitions sportives, des rassemblements, et des déplacements sportifs sur l’environnement, sa préservation et l’écologie. Nous verrons peut-être, d’ici quelques temps, du matériel différent ou fabriqué de façon plus prégnante dans des matériaux recyclés ou nouveau par exemple.
Un autre axe concerne le rôle des activités physiques ou sportives (APS) comme fer de lance des apprentissages de la citoyenneté et de la vie en démocratie. Cela reprend un des objectifs principaux des enseignants d’éducation physique et sportive (EPS), en lien avec la participation sociale, le respect des règles et la gestion des émotions. L’idée qui ressort est d’inscrire de manière générale les APS et pas seulement les EPS dans le développement des habiletés motrices des enfants, notamment à travers le « savoir nager » et le « savoir rouler ».
A ce titre, la loi prévoit que dès lors qu’un établissement scolaire (école primaire, collège, lycée) sera prévue, une entrée indépendante sera mise en place afin d’accueillir d’autres organisations telles que des associations ou des entreprises par exemple pour la pratique d’APS. Dans ce sens, des politiques spécifiques liées à la pratique sportive tels que les plans sportifs locaux vont apparaître au sein des collectivités territoriales avec des conventions particulières. Cela permettra d’inscrire le sport de façon transversale dans les politiques d’éducation, d’urbanisme, dans la politique de la ville et au sein de territoires comme les quartiers. C’est intéressant car on manque d’espace et de lieux de pratique. Dans cette optique-là, un recensement sera fait par académies afin d’ouvrir et rendre visible le panel de lieux de pratique d’APS.
Le sport est donc intégré dans le code de l’éducation mais aussi dans celui de l’urbanisme et rend les APS transversale à tout cela, comme s’il était une valeur fondamentale au même titre que la culture et l’enseignement. Plusieurs enseignants en Activité Physique Adaptée (APA) sont d’ailleurs sollicités par des architectes ou pour des projets d’architecture afin de réfléchir à l’aménagement des lieux en lien avec les besoins spécifiques des bénéficiaires ou pour rendre l’environnement propice aux déplacements actifs. Peut-être verrons-nous apparaitre une meilleure considération des enseignants d’EPS et des enseignants en APA dans cette optique-là, en se disant que le sport a un intérêt fondamental autour de l’éducation et de la pratique de l’activité physique en général.
Un autre axe de cette proposition de loi est spécifique à la gouvernance des structures sportives. La loi promet par exemple l’intégration de la parité au sein des cadres dirigeants des fédérations sportives ou encore la mise en place de lutte contre la fraude lors des assemblées générales (en réduisant les mandats électifs des présidents et la gestion de la manipulation des organisations sportives de façon à bloquer les retransmissions illicites des compétitions sportives).
La santé publique n’est pas en reste ; le sport-santé est intégré à la proposition de loi par le biais notamment de l’amendement n°369 au code de la Santé Publique. Ici la problématique que l’on peut soulever est notamment liée à un souci de sémantique. Le texte parle « d’activités physiques ou sportives », de « sport », de « sport pour tous » mais sans définir ces termes alors que plusieurs structures comme le Comité National Olympique et Sportif Français (CNOSF) ont déjà posé des bases de définition pour la notion de sport-santé[1] par exemple. Cela ne semble toujours pas clair pour les personnalités politiques, malgré la mise en place de différents rendez-vous et prises de parole d’experts au niveau national.
[1] https://cnosf.franceolympique.com/cnosf/actus/6254-comits-sport-sant.html
Dans le même temps, l'amendement n°369 au code de la Santé Publique est également adopté, de quoi s'agit-il ?
L’amendement vient se superposer au décret de 2016 autour de la prescription d’activité physique adaptée par le médecin traitant et à destination de personnes en affection de longue durée (ALD). Il ajoute quelques points, en ouvrant la possibilité à tous les médecins de prescrire une APA, et ce, à destination de personnes présentant une maladie chronique, telle que l’hypertension (HTA) ou encore l’obésité ainsi qu’aux personnes ayant des problématiques respiratoires, notamment en lien avec les séquelles des Covid longs.
Le texte mentionne la prescription d’APA comme étant un acte de prévention primaire, or dès lors que l’on parle de prescription nous ne sommes plus en prévention primaire car dans le cadre du décret de 2016, cette prescription vise des personnes ayant une maladie chronique et c’est problématique de voir apparaître ces mots-là.
Cependant, dans ce texte on parle de notions préventives en lien avec la prescription du « sport », or on ne prescrit pas de sport. Puis on parle de prescription « d’APA » puis de « sport-santé » et enfin de prescription de « l’activité physique ». Nous retrouvons une nouvelle fois ces problèmes de sémantique. Je pense que cela est dangereux car lorsqu’on travaille avec ces publics qui sont en besoin d’APA, dès lors qu’on leur parle de sport, ils font marche arrière. Cela est-il dû à du lobbying des fédérations sportives et du ministère des sports ou d’une méconnaissance des personnalités politiques autour des enjeux ? Je trouve très intéressant de le souligner et ceci questionne quant aux interventions des experts au niveau de ces enjeux. Sont-ils entendus ? Compris ?
Concernant les médecins, l’état met un poids énorme sur leurs épaules afin de démocratiser le sport en France. Le texte mentionne la prescription dans le cadre du parcours de soin, or ce dernier s’inscrit dans un établissement sanitaire, tandis que le parcours de santé est beaucoup plus large et s’étend sur un territoire. L’APA n’est pas cerclée dans un parcours de soin et il aurait fallu ouvrir à tous et donc au parcours de santé.
L'idée de démocratisation est géniale et plébiscitée par les acteurs de terrain. Cependant, au lieu de contrôler qui et quand peut intervenir et de quelle façon, l’état ouvre toutes les vannes et ça manque de parcours lisible pour le bénéficiaire et le prescripteur.
Sur le terrain, comment se structure actuellement la mise en place d'une prescription d'activité physique adaptée, et quel regard portez-vous sur le système actuel (prescripteurs, bénéficiaires, remboursements, etc.) ?
C’est quelque chose qui balbutie car cela fait quatre ans que cette logique-là existe.
Concernant les prescripteurs, ils n’ont pas le temps, pas la formation et parfois pas l’envie d’approfondir leur implication dans cette thématique-là et de ce fait, ne préconisent pas ou très peu ou alors de façon sommaire des conseils en matière d’activité physique. Il manque de la formation initiale des médecins en activité physique. De plus, beaucoup d’acteurs sont présents sur un territoire mais ne se connaissent parfois pas.
Nous avons aussi des problématiques de communication. En effet, nous parlons ici de données de santé, de prescription et certaines modalités de communications entre médecin et enseignants en APA n’ont pas été réfléchies. Ceci a aussi pour conséquence que les bénéficiaires, suite à leur rendez-vous médical, sont livrés à eux-mêmes dans la recherche du bon professionnel ou vont être dirigés par leur médecin vers des pratiques à étiquette telles que le Yoga ou le Tai-Chi pour ne pas prendre trop de risque, car celles-ci sont considérées comme des pratiques douces… Mais qu’en est-il de la lecture et de la mise en place sur le terrain des recommandations d’activité physique bénéfiques pour la santé ?
Nous pouvons observer sur le terrain, que certains enseignants en APA vont voir des patients envoyés par des médecins. Par l’intermédiaire d’un entretien motivationnel et de tests de la condition physique, ils rédigent un bilan qu’ils donnent au patient, qui retourne voir son médecin pour qu’il puisse prescrire en connaissance de cause l’APA ou le type de programme quant à une pratique particulière.
C’est plutôt intéressant de voir le médecin comme coordonnateur de parcours de santé, envoyant ses patients vers des experts en APA (enseignants en APA) ou d’autres métiers soulignés dans le décret (masseur-kinésithérapeute, ergothérapeute ou éducateur sportif) puis récupérant les données pour ensuite préconiser une certaine pratique ou une certaine stratégie thérapeutique. Dans une logique de prescription, l’enseignant en APA va être force de proposition et va accompagner le prescripteur et le bénéficiaire vers une pratique qui peut être autonome ou encadrée.
Depuis le lancement de cette initiative de prescription d’APA, la question du remboursement de cette pratique a toujours été en discussion. Aujourd’hui il n’existe toujours pas de financement sur un fléchage d’une organisation et d’un parcours de santé particulier.
Cependant, certain.e.s mutuelles ou assureurs prennent en charge financièrement une enveloppe correspondant à l’inscription dans un club ou alors des factures de professionnel, ce qui permet au bénéficiaire de limiter les frais liés à la pratique d’une activité physique.
Certaines initiatives intéressantes ont vu le jour, telles que les Maisons Sport-Santé (MSS) qui ont pour objectif de créer du lien sur un territoire. Cependant, les modalités d’inclusion sont larges et aujourd’hui, il n’existe pas non plus de financement quant à leurs missions sur le terrain.
Quel impact va avoir cet amendement sur le parcours de soin et la pratique d'une activité physique ? Y a-t-il des "points manqués" dans cette proposition de loi qui vous paraissent pourtant indispensables ?
La problématique de sémantique a un impact sur l’identification des acteurs sur le terrain, en lien avec leurs connaissances et leurs formations. En effet, on va toujours se dire qu’il manque des acteurs, formés au « sport-santé », or ces acteurs existent déjà sur le terrain. En lien avec cela, les médecins ne savent pas vers qui envoyer leurs patients et les bénéficiaires ne savent pas vers qui se tourner. Pourtant une instruction ministérielle est sortie en lien avec le niveau de limitation fonctionnel des bénéficiaires et l’accompagnement par les différents acteurs. À mon avis il manque un fil rouge. La HAS a communiqué sur un arbre décisionnel mais il manquerait de la lisibilité pour que le médecin puisse jouer son rôle, s’il en a envie ou sinon que des professionnels prennent ce rôle de coordonnateur de parcours de santé en lien avec l’activité physique et je pense que les enseignants en APA de niveau master sont largement formés pour cela.
Par ailleurs et en lien avec les formations des uns et des autres, la SFP-APA travaille avec les organisations universitaires afin de clarifier ce qu’est un enseignant en APA, la définition de l’APA au niveau universitaire et quelles sont les compétences transversales de ce professionnel.
Mathieu Vergnault tient à remercier Quentin Bussonnais et Annabelle Grousset pour leur aide quant aux réponses à ces questions.
C’est plutôt intéressant de voir le médecin comme coordonnateur de parcours de santé, envoyant ses patients vers des experts en APA (enseignants en APA) ou d’autres métiers soulignés dans le décret (masseur-kinésithérapeute, ergothérapeute ou éducateur sportif) puis récupérant les données pour ensuite préconiser une certaine pratique ou une certaine stratégie thérapeutique.
POUR ALLER PLUS LOIN
Site internet de la SFP-APA : www.sfp-apa.fr
Référentiel d’activité et de compétences de l’enseignant en APA : lien
Code de déontologie de l’enseignant en APA : lien
Communiqué sur la définition de l’APA universitaire et le métier d’enseignant en APA : lien
Trouver un enseignant en APA sur le territoire : lien
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