Santé mentale des enfants, le droit au bien-être
LE DOSSIER DU MOIS
JANVIER 2022 :
« Rapport du Défenseur des droits : santé mentale des enfants, le droit au bien-être »
Pour lire le rapport dans son intégralité : https://buff.ly/3dSS9AJ
INTERVIEW
Santé mentale des enfants
LE POINT DE VUE DE :
Valérie Ivassenko
CHARGÉE DE PROJET AU SEIN DE LA CHAIRE UNESCO ÉDUCATIONS & SANTÉ
Pr . Didier Jourdan
TITULAIRE DE LA CHAIRE UNESCO ÉDUCATIONS & SANTÉ
DIRECTEUR DU CENTRE COLLABORATEUR OMS POUR LA RECHERCHE EN ÉDUCATION ET SANTÉ
La Chaire UNESCO ÉducationS & Santé a pour ambition de contribuer au changement social en faveur de la santé de tous. Sa mission est de contribuer à la recherche, au partage de connaissances, à la formation des acteurs et au soutien au développement de politiques et de pratiques intersectorielles renouvelées. La Chaire est membre de la SFSP.
La Défenseure des droits a diffusé, le 16 novembre 2021, son rapport annuel « Santé mentale des enfants : le droit au bien-être ». Valérie Ivassenko, Didier Jourdan, pouvez-vous nous présenter le contexte dans lequel le rapport a été produit, et développer les grands axes abordés ?
Valérie Ivassenko : Le rapport annuel consacré aux droits de l’enfant a cette année une connotation tout à fait particulière parce qu’il se situe dans la suite de la pandémie de Covid-19 et de ses conséquences sur la santé mentale des enfants. Il prend place dans un contexte inédit qui questionne en profondeur les enjeux et la gestion de la santé des populations. Cette publication intervient à la suite de deux autres rapports sur le sujet : celui du Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP) sur l’impact du Covid-19 sur la santé mentale et le rapport sur la situation des enfants dans le monde réalisé par l’UNICEF « Dans ma tête : promouvoir, protéger et prendre en charge la santé mentale des enfants », qui constitue l’analyse la plus complète jamais menée par l’UNICEF sur la santé mentale des enfants, des adolescents et des personnes s’occupant d’enfants. Ce contexte pandémique a fait émerger un besoin criant, une demande forte de l’ensemble de la communauté, qu’il s’agisse des professionnels de santé, de l’éducation, des parents ou des jeunes eux-mêmes en matière de prévention, de soins ou d’accompagnement. L’impact de la crise sanitaire (confinements, restrictions d’accès aux centres culturels et sportifs, atmosphère d’incertitude et d’insécurité…) sur la santé mentale des enfants est l’un des axes importants de ce rapport.
La spécificité de ce rapport se situe dans son ancrage radical dans les droits humains et le cadre légal du droit des enfants. Pour sa rédaction, les auteurs se sont appuyés sur les dispositions de la convention internationale des droits de l’enfant, sur les saisines de l’institution (plus de 3000 saisines en 2021 et bon nombre d’entre elles concernaient des problèmes de santé mentale sur la parole des enfants), mais également sur les auditions d’un grand nombre d’acteurs impliqués dans l’accueil et la prise en charge des enfants et surtout sur la parole des enfants eux-mêmes. Ce dernier point mérite d’être souligné : une vaste démarche de consultation a en effet été menée auprès des enfants, pour essayer de cerner ce qu’ils entendent par « santé », « santé mentale » et « bien-être », et ce qui en constitue pour eux les déterminants.
De cette consultation ressort que la santé mentale concerne l’ensemble des acteurs de l’écosystème de vie des enfants et pas seulement du système de soins de santé des enfants en psychiatrie. Il met en évidence les déterminants sociaux et environnementaux de la santé, l’impact de la crise sanitaire, la nécessité de repérer et cibler les vulnérabilités spécifiques de certains groupes d’enfants et synthétise le tout autour de 29 recommandations.
Didier Jourdan : Le contenu lui-même du rapport est structuré en deux parties distinctes, et je crois que c’est extrêmement important de l’avoir en tête pour les lecteurs. Une première partie est centrée sur les conditions de la santé mentale des enfants. Celle-ci aborde l’ensemble des questions relatives à la prévention, aux dispositifs d’accueil, aux problématiques de la parentalité, la participation des enfants, au climat scolaire, à la bienveillance et aux compétences psycho-sociales. Ce premier axe vise ainsi à définir les conditions du bien-être et de santé mentale des enfants.
La deuxième partie du rapport est centrée sur la question des vulnérabilités. Nous tenons à le souligner, car le rapport ne se limite pas à partager la population des enfants entre ceux qui vont et ceux qui ne vont pas bien du point de vue de la santé mentale. Il aborde les déterminants sociaux, sanitaires ou éducatifs de la vulnérabilité. On peut ici parler d’une approche d’universalisme proportionné dans les mesures proposées. Cette perspective est celle de la SFSP comme de la Chaire Unesco Éducations & Santé. La visée de notre travail et de notre engagement est bien la promotion de la santé mentale de tous les enfants, dans une démarche qui soit proportionnée à leurs besoins. De la même façon, le rapport de la Défenseure des enfants comprend toute une partie consacrée aux enfants en situation de vulnérabilité, qu’il s’agisse de vulnérabilité sociale, de vulnérabilité liée à des maladies chroniques, d’enfants et de jeunes sous main de justice, de migrants, de mineurs isolés, etc. Cette deuxième partie vise ainsi à préciser les réponses que l’on doit apporter aux besoins spécifiques de ces enfants.
Le rapport aborde la notion de « Logiques en silos » que la Défenseure des droits souhaite dépasser urgemment. Selon vous, quelle.s approche.s faut-il plutôt envisager pour protéger la santé mentale des enfants ?
Didier Jourdan : Effectivement, c’est le pivot du rapport. Il consiste à reconnaître que la santé mentale d’une personne ne dépend pas uniquement de l’action, par exemple, des dispositifs de soins en psychiatrie, ou même de l’école ou des dispositifs de soutien social. C’est la synergie de l’ensemble de ces dispositifs qui permet d’agir efficacement pour la santé mentale des enfants. Les études scientifiques montrent en effet que la santé est largement déterminée par des facteurs extérieurs au système de soins. Ces déterminants (sociaux, environnementaux, …) de la santé étant imbriqués, il n’est possible de répondre et relever le défi de la santé mentale des enfants qu’en agissant de manière simultanée, coordonnée et stratégique sur l’ensemble de ces différents déterminants. Il s’agit ici d’un enjeu tout à fait majeur de santé dans toutes les politiques, c’est-à-dire d’accompagner tous les acteurs de l’éducation et du développement des enfants dans une démarche centrée sur les conditions de leur développement harmonieux. N’oublions pas que le bien-être d’un enfant n’engage pas seulement la période de l’enfance, mais va impacter tout son parcours de vie. La période de développement des enfants et des jeunes (de 0 à 24 ans) revêt donc des enjeux majeurs et implique des stratégies spécifiques. Par exemple, le fait d’habiter dans un logement surpeuplé augmente de 40% chez les enfants de 15 ans le risque d’accuser un retard scolaire et de rencontrer des difficultés au collège. L’imbrication des déterminants de la santé mentale des enfants rend caduque et inefficace toute approche en silos et requiert une approche stratégique, à savoir une action coordonnée et intersectorielle de l’ensemble des acteurs impliqués dans l’écosystème de vie des enfants. Une réponse efficace et durable ne peut ainsi se limiter au développement de systèmes de soins, ou même au travail exclusif sur le climat scolaire, sans inclure d’actions autour de la parentalité, des environnements de vie, la réduction de la violence.
Valérie Ivassenko : Ce qui nous semble important et qui ressort dans ce rapport, c’est en effet l’urgence de construire des réponses intersectorielles aux questions de santé et de bien-être. Un deuxième axe très important qui découle du premier, c’est l’importance de construire des démarches participatives afin de garantir autant que possible que nous agissions avec et pas seulement pour l’enfant. Il s’agit de donner les moyens aux enfants de devenir progressivement autonomes afin de pouvoir être en mesure de faire des choix libres et éclairés pour leur propre santé, mais aussi de devenir des citoyens responsables, conscients que leurs propres choix ont des impacts sur la communauté et la planète. On n’a jamais eu autant conscience que nos propres choix de santé impactaient la communauté ; et les enfants y sont maintenant sensibilisés dès l’enfance, dès l’école.
Selon vous et d’après l’annonce « 3000 saisines sont reçues chaque année par le Défenseur des droits », qu’est-ce que cela fait transparaitre de la situation ?
Didier Jourdan : Je ne pense pas qu’il faille s’attacher à la question du nombre de saisines mais plutôt se concentrer sur leur contenu. Tout le monde ne sait pas qu’il y a un Défenseur du droit des enfants et n’a pas forcément idée d’ancrer la question du bien-être des enfants dans un corpus juridique, un ensemble de droits. Les saisines consistent à poser la question du bien-être des enfants sous l’angle spécifique des droits. Il est question ici des conditions d’accès à la santé mentale des enfants. De plus, comme nous le disions précédemment, ce rapport s’appuie sur un vaste travail conduit auprès des enfants eux-mêmes. Les saisines ne représentent qu’un angle parmi d’autres de la vision d’ensemble que Claire Hédon a souhaité faire transparaitre dans le rapport. L’enjeu du nombre de saisines ne me semble donc pas central. Par contre, il est extrêmement intéressant de considérer ce qui se trouve à l’origine de ces saisines.
Un premier constat est que la santé mentale est présente dans la grande majorité des saisines ; qu’il s’agisse de manque de professionnels du soin, de harcèlement, etc., tout un ensemble de saisines font apparaître de façon transversale des enjeux de santé mentale. Les saisines peuvent être classées selon trois grands axes :
- Le manque de professionnels du soin et de structures adaptées: ces saisines dénoncent le manque d’infirmiers scolaires, de psychologues, de médecins scolaires, de places en IME, etc. Du fait des disparités territoriales, la Défenseure des enfants est saisie pour signaler le non-respect du droit d’accès à des services de santé adaptés aux besoins.
- L’ensemble des éléments en rapport avec l’intersectorialité et l’approche de l’enfant dans sa globalité: ces saisines se font le reflet des difficultés rencontrées, notamment par les enfants en situation de vulnérabilité, du fait de dispositifs ou d’approches en silos.
- L’ensemble des éléments relatifs au harcèlement et aux violences en milieu scolaire : Longtemps négligée, la question du harcèlement scolaire est devenue un enjeu social majeur : on observe une véritable prise de conscience de l’impact immédiat et futur de ces situations sur la santé mentale des élèves harcelés. Les saisines concernent ici le non-respect du droit à la sécurité et du droit à l’éducation.
Quelles sont selon vous, les recommandations « phares » ou très importantes à retenir de ce rapport ?
Didier Jourdan : Sachant qu’il y a 29 recommandations dans ce rapport, nous avons dû faire un choix drastique !
Valérie Ivassenko : La recommandation qui nous semble devoir être mentionnée en premier lieu est celle qui concerne la vision de la santé mentale. C’est justement la première recommandation du rapport, car elle pose les bases et les finalités de la démarche. Elle appelle à une prise en compte holistique du bien-être des enfants et à une mobilisation coordonnée de l’ensemble des acteurs. Encore une fois, ce qui nous a semblé vraiment intéressant dans cette démarche, c’est ce questionnement préalable sur la notion elle-même de santé mentale. Le rapport se base sur la convention des droits des enfants qui revendique que toute décision doit être portée par l’intérêt supérieur de l’enfant. Mais définir l’intérêt supérieur de l’enfant ou ce qui fonde le bien-être de l’enfant n’ont rien d’une évidence. Ce sont des dimensions extrêmement subjectives, souvent basées sur les représentations des adultes. Il y a là un enjeu éthique important : dès lors qu’il est question d‘agir pour les enfants, nous nous trouvons sur une fine ligne de crête, qui vise à équilibrer notre responsabilité pour eux tout en préservant leur liberté et leur autonomie. Il y a un subtil entre-deux éducatifs à trouver, et qui ne peut se trouver que collectivement. D’où l’importance du travail mené avec les enfants et les acteurs sur la notion elle-même de santé mentale pour ce rapport. Défendre l’élargissement et la dépathologisation de la notion de santé mentale pour une considération plus globale du bien-être, telle que définie par l’OMS, et la mise en place d’une véritable stratégie de santé publique, voici donc la recommandation première de ce rapport, de laquelle découlent toutes les autres.
Didier Jourdan : Cet élargissement est d’autant plus exemplaire qu’il n’émane pas d’une spécialiste de la promotion de la santé mentale, mais de la Défenseure des droits et d’un angle d’attaque juridique. Affirmer que le respect des droits de l’enfant nécessite la mise en œuvre d’une véritable stratégie de promotion de la santé des enfants constitue une avancée majeure ! Ainsi, si cette première résolution peut être jugée théorique, elle nous a semblé devoir être mentionnée en priorité.
Ensuite, un second groupe de recommandations (la n°2, la n°4 et la n°6) insiste sur les questions de la petite enfance et de la parentalité : disposer de suffisamment de services d’accueil pour la petite enfance, par exemple. Les données de la recherche montrent en effet que le meilleur moyen d’agir sur les inégalités dans le domaine de la santé consiste à mettre en place et favoriser l’accès de tous les enfants à des systèmes de garde et d’accueil adaptés. Ces services sont décisifs pour les enfants plus vulnérables, car ils leur permettent de bénéficier dès le plus jeune âge d’un accompagnement éducatif, d’où d’ailleurs l’enjeu de la maternelle à 3 ans. La recommandation 2 qui vise à offrir à chaque enfant des lieux d’accueil qui soient de vrais espaces d’éveil est donc décisive. Un autre enjeu majeur est d’accompagner la parentalité pour les politiques des collectivités territoriales et de savoir aller à la rencontre, « aller-vers » les publics les plus vulnérables. Le deuxième groupe de recommandations qui nous semble très important concerne donc les lieux d’accueil et le soutien à la parentalité, parce qu’il constitue l’écosystème de vie des enfants.
Valérie Ivassenko : Le troisième groupe de recommandations qui nous semble devoir être mentionné est l’appel insistant au renforcement des dispositifs au plus près des personnes, avec notamment la médecine scolaire et la protection maternelle et infantile.
Didier Jourdan : Et encore une fois, nous sommes très sensibles au fait qu’on parle du point de vue de la Défenseure des droits. Il n’y a pas en soi de droit au bien-être, ni de droit à la santé, mais il y a un droit à la création des conditions de la santé et du bien-être. Et le fait de bénéficier des services de la PMI ou de la santé scolaire est un élément décisif pour le bien-être des enfants.
Un dernier groupe de recommandations importantes vise spécifiquement les vulnérabilités de certains enfants : mineurs sous main de justice, mineurs isolés, vulnérabilité sociale, handicap, maladies chroniques, etc. Nous ne pouvons considérer que tous les enfants ont les mêmes besoins. La Défenseure des enfants a mis en avant, et à juste titre, les enjeux de s’adapter aux besoins des enfants, de prendre en compte les situations de vulnérabilité et de leur apporter des réponses spécifiques.
Un mot pour conclure ?
Didier Jourdan : Ce rapport nous semble très positif, car même s’il n’apporte en soi rien d’extrêmement novateur, il est remarquable parce qu’il n’émane pas du Ministère de la Santé, de Santé publique France, de la Chaire UNESCO ou de la SFSP, mais de la Défenseure des droits des enfants elle-même ! Il nous semble aller au-delà de la feuille de route « Santé mentale » et de travaux des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie.
Ce qui est à retenir, c’est l’appel à la mise en œuvre d’une véritable politique de promotion de la santé mentale des enfants. En effet, considérer ensemble les questions de prévention, de soins, d’éducation, de protection dans une vision stratégique, cela porte un nom : la promotion de la santé. Certes de nombreux rapports existent déjà sur ce sujet. Ce qui est de nature à faire progresser la réflexion de tous les acteurs de la santé publique, c’est l’ancrage de la promotion de la santé mentale dans les droits humains et spécifiquement les droits des personnes en développement que sont les enfants.
Ce qui est à retenir, c’est l’appel à la mise en œuvre d’une véritable politique de promotion de la santé mentale des enfants. En effet, considérer ensemble les questions de prévention, de soins, d’éducation, de protection dans une vision stratégique, cela porte un nom : la promotion de la santé.
POUR ALLER PLUS LOIN
La Chaire UNESCO ÉducationS & Santé
Rapport du Haut Conseil en Santé Publique sur l’impact du COVID sur la santé mentale
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