Réflexion prospective et points de vigilance en période de crise sanitaire
LE DOSSIER DU MOIS
DECEMBRE 2022 :
Rapport relatif à la réflexion prospective et aux points de vigilance en période de crise sanitaire (HCSP) et Long-term qualitative scenarios and considerations of their implications for preparedness and response to the Covid-19 pandemic in the EU/EEA (ECDC)
Lien pour lire le rapport du HCSP dans son intégralité et lien pour lire le rapport de l'ECDC dans son intégralité
INTERVIEW
Enjeux d'une réflexion prospective sur le sujet du Covid-19
LE POINT DE VUE DE :
Antoine Flahault
MEDECIN DE SANTE PUBLIQUE, EPIDEMIOLOGISTE
DIRECTEUR DE L'INSTITUT DE SANTÉ GLOBALE DE L'UNIVERSITÉ DE GENÈVE
CO-DIRECTEUR DE L'ÉCOLE SUISSE DE SANTÉ PUBLIQUE À ZÜRICH
Pouvez-vous rappeler les principaux enjeux de l’établissement de scénarios d’évolution et d’une réflexion prospective sur le sujet du Covid-19 ?
Personne ne se prétend capable de prédire l’avenir de cette pandémie, en revanche envisager quelques scénarios du domaine du possible est un exercice qui peut s’avérer très utile pour mieux anticiper et prendre d’éventuelles mesures pour réduire des risques évalués comme élevés. Par ailleurs, la formulation de scénarios qui évoquent la circulation du virus et l’impact qui lui est associé vise à maintenir un certain niveau de vigilance auprès des autorités qui peut s’avérer précieux si les scénarios les moins optimistes devaient se réaliser.
Les scénarios envisagent différents usages de la vaccination, et notamment un taux de vaccination faible, une faible efficacité du vaccin ou une immunité vaccinale décroissante. Que peut-on dire de ces prévisions concernant la place de la vaccination ?
L’essentiel de la stratégie de riposte à la pandémie depuis l’arrivée des vaccins repose sur le seul vaccin, en France comme en Europe. L’immunité vaccinale de masse a permis de réduire considérablement la létalité du Sars-CoV-2, et par là-même les mesures fortes constituées par les confinements, les quarantaines et les couvre-feux. Grâce au vaccin, les gouvernements ont pu abandonner presque partout dans le monde ces mesures fortes pour revenir à une vie presque « comme celle d’avant ». Il est donc attendu, dans cette stratégie « tout vaccinale » qui prévaut aujourd’hui que les scénarios envisagent différentes hypothèses concernant les niveaux de couverture vaccinale et les risques d’échappement immunitaire.
Les deux rapports font également état de la fatigue vaccinale qui risque de s’installer ainsi que d’une augmentation de la défiance des populations envers la vaccination. Peu de possibilités sont cependant évoquées pour palier à cela. Quels sont selon vous les éléments-clefs pour agir sur cet enjeu ?
Les gouvernements européens ont craint l’hésitation vaccinale de leur population depuis que le vaccin est disponible, surtout en France. Or force est de constater que la quasi-totalité de la population éligible est aujourd’hui vaccinée en Europe, à part peut-être les enfants qui le sont moins, en raison notamment d’un discours des pédiatres plus frileux à ce sujet, mais aussi parce que ce segment de la population ne représente pas celui considéré comme le plus à risque de formes graves, et donc chez lequel le rapport bénéfices/risques du vaccin est le moins élevé. Les personnes véritablement « antivax » sont donc une très petite minorité de la population, certes très vocale, surtout sur les réseaux sociaux. Les Espagnols les ont estimés à moins de 1% de la population et lorsqu’on compte les soignants non vaccinés en France, même si les chiffres à leur propos restent un peu flous, on semble très au-dessous de 1% en effet. Je ne crois donc pas que la population soit à proprement parler « fatiguée » du vaccin. Elle est certes fatiguée du Covid et souhaite passer à autre chose, mais si une nouvelle vague devait un jour s’accompagner d’un retour de la tension hospitalière, d’un accroissement du risque dans la population adulte en bonne santé comme en 2020, je ne doute pas que la population se remobiliserait rapidement. Je comprends que l’on simule des scénarios plus pessimistes que mon discours, mais ce n’est pas pour ma part un grand motif d’inquiétude. Les autorités devraient plutôt se concentrer sur le rappel des personnes les plus à risque de formes graves aujourd’hui, les personnes âgées et immunodéprimées, car pour les autres, je crains qu’on n’arrive pas à les convaincre dans le discours ambiant actuel. Aujourd’hui, on veut tourner la page de cette pandémie, à tous les étages de notre société, de la population aux décideurs publics, en passant par de nombreux experts et les médias.
Au-delà de ces deux rapports, que pensez-vous du niveau d’alerte actuel concernant la préparation de la France à de potentiels nouveaux risques épidémiques ? Est-il suffisant ? Semble-t-on réussir à tirer des leçons de cette pandémie mondiale ?
La France a montré sa réactivité et sa mobilisation dans cette crise. Le pays était annoncé fracturé, divisé, fatigué à la veille de la pandémie. Or la France a connu l’une des ripostes à la pandémie les plus austères d’Europe et sa population a adhéré dans son immense majorité, se montrant particulièrement disciplinée, solidaire et participative. Ainsi elle a su limiter plus que d’autres voisins les conséquences de la pandémie jusque-là, qu’elles soient sanitaires (mortalité cumulée totale) mais aussi économiques et sociales. Il me semble qu’elle pourrait cependant tirer dès à présent quelques leçons qui lui seraient utiles, en particulier visant à refonder sa veille sanitaire qui recèle d’importantes marges de progression pour être plus précise et plus fiable. Elle pourrait aussi enfin lancer un plan national « Ventilation » visant à améliorer la qualité de l’air intérieur.
Quelle place l’Union européenne mais aussi le Bureau Europe de l’OMS peuvent-ils jouer en matière de préparation à de potentiels nouveaux risques épidémiques ? Peut-on dresser un premier bilan des actions entreprises depuis l’émergence de Covid-19 ?
L’Europe détient des atouts majeurs en termes de compétences scientifiques et d’infrastructures sanitaires et industrielles. C’est un continent riche et l’Union Européenne bénéficie d’une unité politique et économique avec une capacité certaine de coordination de son action. On a pu voir des réalisations européennes brillantes durant cette pandémie comme la centralisation des autorisations de mise sur le marché des vaccins et des médicaments par l’EMA. La procédure centralisée d’achat et de répartition des vaccins entre les États membres de l’UE a été exemplaire et doit être saluée. Maintenant, il convient de tirer des leçons plus difficiles à entendre. En effet, quasiment aucun vaccins ni médicaments du Covid ne sont issus de l’Europe continentale de l’ouest. Les grands acteurs mondiaux de la R&D dans le domaine auront été les USA, le Royaume-Uni, la Russie et la Chine. Pourquoi l’Europe a été à ce point aux abonnés absents ? Il faudra qu’un jour on se pose la question. Pourquoi est-ce l’administration de Donald Trump, celles de Boris Johnson, de Poutine et de Xi Jinping qui ont été les plus promptes à fournir des vaccins efficaces et sûrs pour l’humanité laissant les Européens juste dans un rôle de consommateurs avisés ? Si l’on veut mieux se préparer à l’arrivée d’une prochaine pandémie, il me semble qu’il faudrait mettre ces questions sur la table, tenter de mieux comprendre les ressorts des expériences réussies, et des blocages de notre échec collectif dans ce domaine.
Les scénarios proposés abordent très peu la prise en charge du Covid long et de ses effets potentiellement dévastateurs sur une partie significative de la population. Comment interprétez-vous cette absence ? Cela pourrait-il constituer un 6ème scénario, ou comment intégrer cette question dans les scénarios existants ?
La question du Covid long ne doit pas nécessairement être traitée comme un scénario spécifique mais plutôt comme la prise en compte d’un fardeau inhérent au Covid, pesant sur environ 20% des contaminations, et cela dans chaque scénario, avec des conséquences sur le long terme pas encore clairement établies. Tous les scénarios qui visent à réduire les contaminations, réduisent de facto le poids associé au Covid long. Il ne faut pas oublier non plus les manifestations post-infectieuses rapportées liées au Covid, comme le diabète, les maladies cardiovasculaires et thromboemboliques qui elles aussi augmentent le fardeau global du Covid, également présent dans tous les scénarios.
Quatre mois après la sortie du rapport du HCSP, vers quel scénario semble-t-on se diriger ?
Nous nous engageons fin novembre 2022 dans une neuvième vague et la « soupe de variants » qui caractérise actuellement le paysage épidémiologique mondial du Covid laisse présager une succession à venir de vagues qui pourraient ne laisser que peu ou pas de place à une réelle accalmie. Toute la question est de savoir si l’un des scénarios catastrophes, celui d’une souche plus transmissible et plus virulente, finira par survenir et quand.
Selon vous, certains scénarios manquent-ils au tableau ?
Oui, celui qui se réalisera in fine et qu’on ne prédit jamais bien sûr ! Encore une fois, ce travail n’est pas un travail de prévision mais plutôt d’anticipation, or ce sont deux processus intellectuels différents.
L’ECDC et le HCSP proposent 5 scénarios d’évolution, y repère-t-on des différences majeures ou au contraire, certaines similitudes ?
Les experts convergent tous peu ou prou désormais sur ces scénarios, je n’y vois pas de différences fondamentales.
De manière générale, qu’avez-vous pensé du rapport du HCSP ?
Je pense que cet exercice est très utile à ce stade de la pandémie mais je ne suis pas sûr qu’il ait rempli son rôle de préparation et d’anticipation pour la suite. La volonté de tourner la page de cette pandémie me semble compréhensible mais trop forte, alors que la pandémie s’accélère en réalité, avec cinq vagues durant la seule année 2022.
L’un des scénarios (n°4) établi que « les prises de paroles contradictoires « d’experts » dans les médias accentuent la décrédibilisation de la parole publique. Le scénario propose comme élément stratégique d’évitement de mettre en place une communication évolutive en fonction des données ; communication, campagne de sensibilisation adaptée, communication transparente et proportionnée, recours à une structure unique centralisée et experte. Que pensez-vous de ces pistes ? Peut-on en envisager d’autres ?
La ligne de crête est ici très délicate. La parole publique est une responsabilité très grande et chacun doit se savoir responsable de ses propos et de ses actes devant la justice et le peuple. La désinformation tue, cela a été très bien montré. Des chercheurs ont estimé à 60’000 le nombre de victimes de cette désinformation aux USA en l’espace de dix-huit mois. Toutes des morts évitables du Covid, des personnes non vaccinées parce que converties aux thèses populistes anti vaccinales. Il faut donc lutter sans relâche contre la désinformation, contre le populisme, contre les mouvements anti science. En revanche, je ne suis pas convaincu que la réponse soit la mise en place d’un guichet unique. S’il ne reste plus qu’un journal dans le kiosque, quelle sera la crédibilité de cette « parole officielle » ? La pluralité de l’information et la démocratie me semblent consubstantielles d’une prise de risque. Et ce risque c’est celui de faire face à la manipulation de l’information, à la désinformation, aux intérêts cachés, ou encore aux populismes politique et scientifique.
La parole publique est une responsabilité très grande et chacun doit se savoir responsable de ses propos et de ses actes devant la justice et le peuple.
POUR ALLER PLUS LOIN
@SFSPAsso
Réagissez sur twitter :
avec le hashtag #SFSPdossierdumois