Communiqué - Réunir les conditions d’un déconfinement réussi : de nombreuses questions encore sans réponse
Le 13 avril, quelques heures avant l'intervention du Président de la République, le Docteur Tedros Ghebreyesus, Directeur général de l’Organisation mondiale de la santé, indiquait aux pays membres de l’organisation les critères pour envisager de lever les restrictions imposées aux populations dans le cadre de la pandémie de COVID-19. Ils sont au nombre de six : a) la transmission du virus doit être sous contrôle, b) les capacités du système de santé doivent permettre de détecter, tester, isoler et traiter chaque cas ainsi que suivre chaque contact, c) les risques de rebonds épidémiques doivent être minimisés dans des contextes comme les établissements de santé ou les résidences pour personnes âgées, d) des mesures de prévention doivent être en place dans les lieux de travail, les écoles et tous les lieux où il est essentiel que les gens se rendent, e) le risque d’importation de cas doit être géré, f) les populations doivent être pleinement éduquées, impliquées, autonomisées et renforcées dans leurs capacités, afin de s’adapter au nouveau contexte.
Comment la France se situe-t-elle par rapport à ces critères ? Pouvons-nous les appliquer dans la perspective du 11 mai, échéance identifiée comme le début d’un déconfinement progressif ?
Pour l’heure, la transmission du virus n’est pas sous contrôle dans notre pays, malgré une stabilisation de sa circulation dans la population, qui reste cependant à un haut niveau. Notre système de santé est-il en capacité de détecter, tester, isoler et traiter chaque cas ? Assurément pas ; en particulier, l’enjeu de la disponibilité d’outils de dépistage est aujourd’hui crucial. Quels tests seront disponibles et en quelle quantité ? Quelles stratégies de déploiement seront considérées comme pertinentes, et envisageables d’un point de vue pratique ? Sommes-nous en capacité de pouvoir minimiser les risques de contamination dans les établissements de santé ou les EHPAD ? Pouvons-nous mettre en place des mesures de prévention sur les lieux de travail, dans les écoles ou autres lieux publics essentiels ? Les équipements de protection manquent encore cruellement, partout. Nous devons disposer d’informations précises sur leur disponibilité, qui sera un déterminant majeur du ralentissement de la dissémination du virus dans la population. Surtout s’il est envisagé de rouvrir progressivement les crèches et les écoles, qui sont des lieux propices à une transmission à large échelle, du fait de la difficulté évidente à y faire respecter les « gestes barrière ».
Enfin, qu’en est-il de la préparation et de l’implication de la population dans les prochaines étapes ? Nous plaidons pour une stratégie de communication loyale, transparente, fondée scientifiquement et adaptée aux différentes populations. L’incertitude est intrinsèque à un tel moment historique ; la partager met chacune et chacun en position d’acteur de sa santé et de celles des autres. Les autorités doivent dire ce qu’elles savent, mais aussi ce qu’elles ignorent, tant sur le virus, ses modes de transmission et sur la maladie elle-même que sur l'ensemble des conséquences économiques, sociales et environnementales de la pandémie et des mesures engagées pour la juguler, comme par exemple le niveau de disponibilité des outils de dépistage ou des équipements de protection. Ceci est un impératif si l’on souhaite que les populations adoptent et maintiennent des comportements appropriés aux modes de transmission du COVID-19, mais aussi qu’elles acceptent, à titre transitoire, les mesures restreignant leurs libertés individuelles pour un bénéfice collectif.
La communication du gouvernement doit s’appuyer sur des faits et sur les dernières données scientifiques disponibles. Elle doit permettre à chacune et chacun de comprendre les stratégies de santé publique envisagées en l’état actuel de la science et des possibilités concrètes qui s’offrent à nous pour les bâtir, notamment pour ce qui concerne la disponibilité de tests de dépistage ou d’équipements de protection. Ceci est à la portée des citoyens, dès lors que l’on s’adresse à eux et elles comme à des adultes capables de prendre des décisions éclairées.
Ces stratégies devront être présentées à l’ensemble de la population et mises en débat dans la société. L’opportunité de mesures restrictives des libertés (prolongation du confinement, traçage électronique en période de déconfinement…) doit être considérée en pesant les avantages sanitaires immédiats en matière de contrôle de la courbe épidémique et de préservation des ressources hospitalières mais aussi les risques immédiats (inégalités face à la scolarisation, décompensations psychiatriques, violences domestiques…) ou différés (conséquences des besoins de soins non satisfaits, comportements addictifs compensatoires, dégradation de la condition physique et mentale…). De la même façon, nos concitoyens ont besoin de comprendre et de participer à la déclinaison locale, sur leurs lieux de vie et de travail, de stratégies dont seules les grandes lignes peuvent être décidées nationalement.
La réflexion sur les stratégies de sortie du confinement, nécessairement graduelles, soulève l’impérieuse nécessité de s’appuyer sur la démocratie sociale et sanitaire et sur les savoir-faire issus des démarches communautaires en santé. La préparation de la sortie de crise appelle l’implication de tous les acteurs de la société, à commencer par les citoyens, mais aussi les instances de démocratie en santé, les représentants des usagers du système de santé et des personnels de santé, les partenaires sociaux, bref les forces vives de la nation. Cette pratique démocratique est la condition nécessaire pour prendre en compte les profondes inégalités sociales, d’âge, de sexe, d’état de santé ou de conditions de vie face à la maladie et à ses conséquences, en essayant a minima de ne pas les aggraver par les stratégies mises en œuvre et en s’efforçant le plus possible de les réduire.
La Société française de santé publique (SFSP) a pour objectif de rassembler l’ensemble des acteurs de santé publique afin de mener une réflexion interdisciplinaire et interprofessionnelle tournée vers l’action. L'analyse critique des faits scientifiques et des pratiques professionnelles lui permet de formuler des propositions à l'intention des responsables publics et d'éclairer l'opinion publique sur les enjeux des politiques de santé. Créée en 1877, la SFSP est une association reconnue d’utilité publique qui compte 50 organisations et 500 individus membres.
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