Pour arrêter la propagation du COVID-19 : les masques anti-projections pour tous
Lors de la conférence de presse très pédagogique du premier ministre le 28 mars, Olivier Véran, ministre de la Santé, a évoqué « des masques alternatifs : anti-projections ». De quoi s’agit-il ?
Jusqu’à présent, le discours sur les masques médicaux était centré sur la protection de la personne qui porte le masque, enjeu majeur pour les soignants. On sait que les masques FFP2 assurent le plus haut niveau de protection et sont réservés aux professionnels de santé en contact avec des patients infectés. Il y a aussi les masques dit « chirurgicaux », moins protecteurs, qu’il est recommandé de mettre aux patients infectés pour éviter qu’ils disséminent le virus. Mais qu’en est-il des porteurs sains, ces personnes qui sont infectées sans le savoir car ils n’ont pas ou peu de signes et n’ont pas lieu d’être testés ?
Il faut rappeler le virus se disperse essentiellement par les voies aériennes. Une personne infectée, qu’elle ait ou non des signes d’infection, émet quand elle respire et quand elle parle un petit nuage de micro- gouttelettes chargées de virus. Ces gouttelettes se dispersent dans l’air et tombent sur les surfaces proches où le virus va persister quelques heures. Le périmètre contaminé mesure théoriquement moins d’un mètre, mais il est plus grand si la personne tousse ou éternue. Si une autre personne touche une surface ou un objet contaminé, elle garde du virus sur sa peau jusqu’au prochain lavage de ses mains et peut se contaminer à son tour par contact avec une muqueuse. Ainsi, une personne qui fait ses courses peut être contaminée par un objet, un fruit ou un légume par exemple, si une personne infectée a respiré à proximité de l’objet.
Il parait évident que le port d’un masque, quel qu’il soit, qui couvre le nez et la bouche limite le périmètre de dispersion du virus et la probabilité de contamination des surfaces. Il serait logique de recommander à toute personne qui sort de son domicile de porter un masque. Mais on ne possède pas assez de masques médicaux pour mettre en œuvre une telle mesure. Les masques médicaux sont réservés aux soignants (et il en manque) et aux patients diagnostiqués COVID-19. Mais la majorité des gens infectés n’ont pas ou peu de symptômes et sortent pour faire leurs courses ou autre activité et contribuent à disperser le virus. Ces personnes pourraient, en attendant qu’on ait assez de masques médicaux, porter des masques en tissu ou même des foulards. Il suffit en effet que le nez et la bouche soient couverts pour que le périmètre de dispersion des gouttelettes et du virus soit diminué.
Ainsi les hygiénistes et infectiologues du CHU de Grenoble-Alpes ont imaginé une procédure qui recommandait le port d’un masque pour toute personne circulant dans l’hôpital. Les soignants travaillant dans le parcours des patients COVID-19 et dans les unités COVID-19 devaient porter des masques FFP2, les soignants des autres unités avaient des masques « chirurgicaux » et tous les autres, patients, visiteurs, personnels techniques, logistiques et administratifs devaient porter des masques en tissu selon un modèle largement diffusé. Cependant les autorités sanitaires n’ont pas validé la procédure du fait de l’absence d’homologation des masques en tissu dont la production était artisanale. De fait, on peut comprendre le réflexe d’une autorité qui ne peut donner son aval à un usage ou un produit dont l’efficacité n’a pas été démontrée. D’ailleurs, Olivier Véran a présenté les « masques alternatifs » en précisant qu’ils étaient en cours d’homologation. Il n’a pas été dit clairement à qui seraient destinés ces masques mais il est évident qu’ils devraient (devront) être utilisés par l’ensemble de la population. On comprend que c’est l’insuffisance d’équipements validés qui empêche les autorités sanitaires de recommander l’usage systématique des masques.
Nous pensons qu’il n’est pas nécessaire d’attendre pour recommander le port de masques en tissu anti-projection pour l’ensemble de la population. Les médecins généralistes qui se trouvent en première ligne dans la lutte contre l’épidémie voient chaque jour plusieurs patients. Parmi ces patients, il en est qui n’ont pas de signes d’infection et qui peuvent contaminer le cabinet médical et le médecin s’il ne porte pas de masque FFP2. Le port d’un masque, quel qu’il soit, par tous les patients et quel que soit le motif de consultation permettrait de diminuer le risque de contamination.
L’éditorial du 28 mars du JAMA[1] (Journal of the American Medical Association), une des grandes revues médicales américaines, est consacré aux équipements de protection des soignants confrontés à l’épidémie [1]. Les auteurs annoncent que ces équipements vont manquer aux USA : « Une pénurie critique de tous ces produits devrait se présenter ou s’est déjà présentée dans des régions à forte demande ». Ils recommandent aux soignants de se protéger de toutes les manières possibles et plaident pour « l’utilisation de masques faits maison, peut-être à partir de bandanas ou foulards si nécessaire ». La revue a lancé un appel aux idées et initiatives parmi lesquelles ils citent l’utilisation de filtres à café. On voit là une approche pragmatique, fondée sur le bon sens, qui prône la prévention, même quand les équipements validés ne sont pas disponibles.
Certes, les mesures barrière actuelles (lavage des mains, périmètre d’un mètre entre les personnes, etc.) permettent de réduire le risque de contamination et il faut certainement continuer à les appliquer. Mais on peut raisonnablement penser que le port systématique d’un masque anti-projection réduirait encore plus ce risque et réduirait probablement la durée des mesures de confinement.
Patrice François, Professeur d’épidémiologie à l’Université de Grenoble-Alpes, Vice-président du CUESP (Collège Universitaire des Enseignants de Santé Publique)
Δ La SFSP et le CUESP soutiennent l'initiative "Stop postillons".
[1] Edward Livingston E et al. Sourcing Personal Protective Equipment During the COVID-19 Pandemic. JAMA. Published online March 28, 2020. doi:10.1001/jama.2020.5317