Covid-19 : les inconsistances du gouvernement sur la question des masques
Nous publions ici une deuxième tribune de Patrice François, Professeur d'épidémiologie à l'Université Grenoble-Alpes, sur le sujet des masques comme outil de prévention - ou de réduction des risques - de contamination par le virus SARS-CoV-2.
Entre l'écriture de cette tribune et sa publication ici, le juge des référés du Conseil d'Etat a confirmé la suspension de l'exécution de l'arrêté du maire de Sceaux. Il a estimé que celui-ci ne peut prendre une telle décision en l’absence de circonstances locales particulières. Il a également estimé que l’arrêté du maire nuit à la cohérence des mesures nationales et des messages de prévention. Cet extrait du jugement ne peut que nourrir la réflexion des acteurs de santé publique : "En laissant entendre qu’une protection couvrant la bouche et le nez peut constituer une protection efficace, quel que soit le procédé utilisé, l’arrêté est de nature à induire en erreur les personnes concernées et à introduire de la confusion dans les messages délivrés à la population par ces autorités".
La politique d’utilisation des masques faciaux « anti-projection » restera un des points les plus discutables de la gestion de l’épidémie du Covid-19 par le gouvernement.
Tout commence avec la pénurie de masques médicaux. Cette pénurie est l’héritage de décisions prises par d’autres gouvernements, mais aussi de la délocalisation de leur production dans le cadre de la mondialisation. Face à cette pénurie, le gouvernement a décidé de réserver les masques médicaux aux soignants et aux patients diagnostiqués infectés par le virus du Covid-19. Ce qui apparut effectivement comme prioritaire. Quant au port d’un masque par tous les gens qui sortent de chez eux, il a été décrété comme étant inutile. « On n’a pas de masques, (donc) ils ne sont pas utiles. »
Puis le discours s’est infléchi. Le 28 mars, le ministre de la Santé a évoqué les masques non médicaux, « alternatifs », « anti-projections » sans en préciser l’usage. Le 3 avril, le Directeur général de la santé, interrogé par un journaliste, a rappelé qu’une production massive de masques alternatifs était en cours en France et indiqué que « nous encourageons le grand public, s’il le souhaite, à porter des masques, en particulier les masques alternatifs ». Toute la subtilité tient dans le « s’il le souhaite » ; le port du masque alternatif est recommandé à ceux qui le veulent bien.
Or, plusieurs arguments plaident pour que le port d’un masque facial soit obligatoire pour toute personne en dehors de son domicile :
- On sait que près de la moitié des personnes infectées par le virus ne le savent pas, car ils n’ont pas ou peu de signes et n’ont pas lieu d’être testés. Une personne infectée émet, quand elle respire et quand elle parle, un petit nuage de microgouttelettes chargées de virus. Ces gouttelettes se dispersent dans l’air et tombent sur les surfaces proches où le virus va persister quelques heures. Le périmètre contaminé mesure théoriquement moins d’un mètre, mais il est plus grand si la personne tousse ou éternue. La contamination des surfaces est une source importante de la contamination des mains.
- On constate que les pays d’Asie qui ont imposé le port du masque semblent avoir maitrisé l’épidémie plus efficacement que les pays occidentaux. Interrogé par Le Monde, le 31 mars, le Directeur général du Centre chinois de contrôle et de prévention des maladies déclarait notamment : « Ne pas porter de masque pour se protéger du coronavirus est une grande erreur ».
- Dans un avis publié le 3 avril, l'Académie nationale de médecine demandait aux autorités qu'elles rendent le port du masque obligatoire pour l'ensemble de la population pour lutter contre l'épidémie de Covid-19. On peut lire dans cet avis : « Le port d'un masque ‘grand public’ ou ‘alternatif’ aux masques médicaux en pleine pénurie devrait être rendu obligatoire pour les sorties pendant la période de confinement et lors de sa levée. Il est établi que des personnes en période d'incubation ou en état de portage asymptomatique excrètent le virus et entretiennent la transmission de l'infection. En France, dans ce contexte, le port généralisé d'un masque par la population constituerait une addition logique aux mesures barrières actuellement en vigueur ».
- Les Centers for Disease Control and Prevention états-unien publiait une recommandation proche, également le 3 avril.
- Des milliers de particuliers et de nombreuses entreprises se sont lancés dans la production de masques « alternatifs » en tissu. Ces masques ont l’avantage d’être lavables.
- Depuis le début du mois d’avril, on assiste à un relâchement des pratiques de confinement et de distanciation sociale. Le port d’un masque serait un rappel permanent de la persistance du risque.
Cet argumentaire, de bon sens et fondé d’un point de vue scientifique, a conduit certains maires, dont celui de Sceaux, à rendre le port du masque obligatoire dans leur commune. Malheureusement, l’arrêté municipal de Sceaux a été suspendu par le tribunal administratif, et le maire en appelle au Conseil d’état. Dans la foulée de cet épisode, le ministre de l’intérieur a ordonné à tous les préfets de retirer les arrêtés municipaux imposant le port des masques. Le gouvernement fait donc un grand pas en arrière sur la question du port du masque en population.
Cette position est d’autant plus incompréhensible que l’on sait, dans les milieux scientifiques et médicaux, que le port d’un masque facial est envisagé comme mesure d’accompagnement du déconfinement. C’est ce qu’a d’ailleurs indiqué Jean-François Delfraissy, Président du Conseil scientifique Covid-19, le 8 avril dernier. Dans cette perspective, l’initiative des maires aurait dû être soutenue par l’état. Elle aurait permis de vérifier l’acceptabilité sociale de la mesure et d’en faciliter la généralisation.
Il nous reste à espérer que le Conseil d’Etat soit plus consistant que le gouvernement.
Patrice François
Professeur d’épidémiologie à l'Université de Grenoble-Alpes et Vice-Président du CUESP, le Collège universitaire des enseignants en santé publique (membre de la SFSP)