LE DOSSIER DU MOIS
Juin 2019 :
« Personnes malades étrangères : des droits fragilisés, des protections à renforcer » Défenseur des Droits
Pour lire l’article dans son intégralité :
https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/rap-etrangmalad-num-07.05.19_0.pdf
INTERVIEW
L'accès aux soins des étrangers malades

LE POINT DE VUE DE :
Caroline Izambert
HISTORIENNE, PhD
RESPONSABLE PLAIDOYER ET MOBILISATIONS CITOYENNES
AIDES, ASSOCIATION MEMBRE DE LA SFSP
Caroline Izambert, l’accès aux soins des étrangers malades, problématique de ce rapport, est aussi le sujet de votre thèse en histoire. Qu’avez-vous pensé de cette publication ?
C’est une publication importante, pertinente et de haut niveau, dont les résultats convergent avec les travaux de chercheurs en sciences sociales, ainsi qu’avec les rapports des associations. Elle fait un état des lieux du droit à la santé des personnes étrangères en France, intégrant la réalité de la mise en œuvre des réglementations. Le Défenseur des Droits y expose la fragilisation des droits avec un accès différencié à la couverture maladie, la persistance des entraves à l’obtention du droit de séjour pour soins, ainsi que les défauts de prise en charge médicale dans les centres de rétention. S’agissant de l’accès au titre de séjour pour raison médicale, la nouvelle procédure issue de la loi du 7 mars 2016 a provoqué une chute sans précédent du nombre de titres délivrés. La tutelle des procédures a été transférée à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) sous tutelle du ministère de l’Intérieur, ce qui a eu pour effet de rompre la séparation entre deux circuits autrefois étanches : l’expertise médicale et la procédure administrative.
Quels sont les apports spécifiques de ce document ?
Il documente notamment que la réforme de l’assurance maladie, avec la Protection universelle maladie (PUMA) a eu pour effet paradoxal de précariser l’accès aux soins des personnes étrangères. En réduisant encore la définition de la résidence régulière, il maintient certaines personnes hors de l’Assurance maladie. Il y a une sorte d’acharnement bureaucratique à maintenir le fait que les personnes en séjour irrégulier n’accèdent pas au droit commun. L’existence de dispositifs parallèles comme l’Aide médicale d’Etat a pour conséquence une perte d’énergie énorme pour les usagers, les établissements de santé et les associations. Cette situation s’est fondée sur l’assertion que la santé figure parmi les raisons de migration. Or, les motifs de santé sont minoritaires dans les projets migratoires. On ne peut qu’être frappé par le contraste entre la crispation sur la mise en œuvre de ces dispositifs et la faiblesse du raisonnement sous-jacent.
Voulez-vous dire que le maintien de ces dispositifs est irrationnel ?
L’argument économique est facilement démontable car les soins des étrangers malades représentent des sommes marginales au regard des dépenses de santé. Du point de vue de la santé publique, notamment de la réponse à certaines épidémies, les entraves à l’accès aux soins sont aussi contre-productives.
Didier Fassin évoquait la santé comme dernier refuge du droit… est-ce encore actuel ?
Ce me paraît de moins en moins vrai. Aujourd’hui, un étranger malade est d’abord perçu comme un étranger avant d’être perçu comme un malade, voire comme un profiteur ou une charge. Il y a probablement eu un changement des sensibilités, car il n’y a plus vraiment de protection au nom de la santé. Cela apparaît clairement s’agissant des personnes vivant avec le VIH, dont certaines sont renvoyées dans leur pays sans certitudes qu’elles puissent y poursuivre leurs traitements.
Les recommandations figurant dans le rapport vous semblent-elles pertinentes ?
Oui, nous souscrivons tout à fait à ces recommandations. Ce qui est inquiétant pour la suite est l’absence de réaction du ministère des Solidarités et de la Santé suite à la parution du rapport. Il ne semble pas y avoir de débouché législatif à court ou moyen terme. Cela ne manque pas de nous interroger sur la place de la production des savoirs dans l’élaboration des politiques publiques.
Souhaiteriez-vous insister sur un point qui n’apparaitrait pas dans ce rapport ?
Ce qui est insidieux il me semble, c’est l’opacité du service publique. Par exemple, nous ne parvenons pas à mettre la main sur les « Lettres réseaux » qui orientent le travail des agents de la Cnam. Il y a comme une « administration piégeuse » qui fonctionne sur des normes implicites. Cela provoque une grande incertitude, anxiogène pour les usagers et qui donnent un sentiment d’impuissance aux associations.
En conclusion ?
C’est un rapport au ton courageux, dont les termes sont sans ambages et dont le constat envers les institutions est assez dur. Je ne suis pas surprise pas ces résultats, mais nous sommes vraiment contents qu’ils soient ainsi objectivés par le Défenseur des Droits.
Il y a une sorte d’acharnement bureaucratique à maintenir le fait que les personnes en séjour irrégulier n’accèdent pas au droit commun. L’existence de dispositifs parallèles comme l’Aide médicale d’Etat a pour conséquence une perte d’énergie énorme.
POUR ALLER PLUS LOIN
Site de l’Observatoire du droit à la santé des étrangers (ODSE)
Dernier rapport de AIDES consacré à l’accès aux droits et aux soins des personnes étrangères
@SFSPAsso
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