LE DOSSIER DU MOIS
SEPTEMBRE 2019 :
LA LOI DU 24 JUILLET RELATIVE A L'ORGANISATION ET LA TRANSFORMATION DU SYSTEME DE SANTE
Pour lire la Loi dans son intégralité :
https://www.legifrance.gouv.fr/jo_pdf.do?id=JORFTEXT000038821260
INTERVIEW
Les changements à attendre de la nouvelle Loi de santé

LE POINT DE VUE DE :
Pierre Lombrail
PU-PH DE SANTE PUBLIQUE, UNIVERSITE PARIS 13 - AP-HP
MEMBRE DU BUREAU DE LA SFSP
Pierre Lombrail, vous avez lu pour nous la loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé du 24 juillet 2019. Quelle a été votre première impression ?
Un texte ardu, dont les détails tendent à perdre le lecteur, très technique. Cette loi s’inscrit dans la ligne du Plan « Santé 2022 ». Il faut saluer un ensemble de propositions qui vont dans le sens qu’imposent de profonds changements épidémiologiques, démographiques et sociétaux : décloisonnement des parcours de formation, structuration de l’offre de soins dans les territoires, développement de la télésanté. Cependant, tout cela demeure centré sur le système de santé et les professions médicales. Les paramédicaux, alors que se développent des « pratiques avancées », comme les patients, acteurs « engagés » de leurs propres soins, apparaissent finalement peu, c’est dommage.
Les dispositions répondant à la problématique de l’accès aux soins dans les territoires sont-elles satisfaisantes ?
La démarche de rationalisation de l’offre de soins, avec notamment les projets territoriaux de santé et les hôpitaux de proximité, me paraît tout à fait favorable. Maintenant, est-ce que les mesures adoptées sont à la hauteur des enjeux ? Je n’en suis pas sûr. Le défi des ressources humaines en santé, de leur répartition et de leur adaptation aux besoins des territoires est majeur face aux disparités observées. Les dispositions restent timides face à l’enjeu de la santé d’une population vieillissante, qu’il faudra accompagner dans la prise en charge de pathologies chroniques et la perte d’autonomie. Mais elles le sont tout autant vis-à-vis de l’enfance avec l’oubli des dispositifs de prévention collective, PMI et médecine scolaire, comme partenaires des projets territoriaux de santé.
Les hôpitaux de proximité excluant l’obstétrique et la chirurgie, cela semble paradoxalement entériner un éloignement de ces services ?
Question sensible et complexe, notamment s’agissant des maternités de proximité. Le nœud de la problématique est un équilibrage entre qualité/sécurité des soins et proximité. Il faut bien reconnaitre que le risque en obstétrique est de moins en moins accepté, ce qui s’accompagne d’une concentration pour assurer des soins de haute technicité. Mais la visée des hôpitaux de proximité, c’est plutôt de s’organiser face aux besoins d’une société vieillissante. Ce qui n’interdit pas de faire évoluer la réflexion sur les lieux de naissance et la place des libéraux, sages-femmes notamment, dans le suivi des grossesses et des accouchements.
La réforme des études médicales marque-t-elle une évolution significative ?
Il a beaucoup été question de suppression du « numerus clausus », mais celui-ci a en réalité été déplacé au niveau des régions. On oublie aussi de préciser que 20 % des inscrits au conseil de l’ordre des médecins ont des diplômes étrangers. En outre, le texte se concentre sur quelques professions médicales. Comme le soulignait Yann Bourgueil dans une contribution sur les ressources humaines en santé pour un rapport du HCAM, il est vain de raisonner sur une profession indépendamment des autres. Face à des ressources humaines limitées, se pose notamment la question de la délégation de certaines tâches qu’il faut identifier, de même que la place de nouveaux métiers (assistants médicaux ou dentaires, médiateurs de santé, pairs…).
En ce sens, la Loi prévoit d’élargir les compétences des pharmaciens, infirmiers, sages-femmes ?
Oui, sur certains aspects, mais nous sommes loin ce qui peut être observé dans d’autres pays d’Europe. Permettre aux sages-femmes de prescrire des contraceptifs ou de vacciner – non seulement les femmes enceintes – cela paraît relever de l’évidence ! Reste cependant à adapter les formations, notamment des pharmaciens, afin d’opérationnaliser cet élargissement des compétences. Cela exige aussi des capacités d’encadrements alors que la spécialité de pharmacie clinique est en difficulté dans nos facultés, et que l’universitarisation de la formation des professions paramédicales nécessite l’émergence d’un corps d’enseignants-chercheurs issus du rang.
Les mesures visant le développement du numérique en santé aideront à relever ces défis ?
Il y a là un potentiel d’ajustement. Les données de santé peuvent constituer des connaissances pour mieux piloter le système de santé autant que les trajectoires de soins. La Loi prévoit notamment l’ouverture d’espaces numériques en santé automatiquement ouverts pour tous les patients. Au-delà des questions techniques et éthiques posées par l’agrégation de ces données, il faut s’interroger sur l’interopérabilité de ces informations pour des acteurs pluri-professionnels, sur la littératie des patients qui y accèderont, et sur l’apport indispensable des dispositifs de médiation pour tirer un parti équitable de ces potentialités nouvelles.
Enfin, pensez-vous que ce texte élude certains sujets ?
Certes, on ne trouve pas de réponses directes aux questions de santé publique qui ont émaillé l’actualité de cet été, telles que la considération de la pénibilité dans la réforme des retraites, le devenir de l’Aide Médicale d’État (AME) ou la saturation des urgences. Plusieurs oublis regrettables : la santé mentale, la médecine scolaire, la PMI, ou encore la santé au travail ou la santé en milieu carcéral… Je déplore aussi le manque d’intersectorialité. Une Loi ne peut tout définir, mais il aurait suffi de formuler une ouverture en direction des partenaires du social et de l’insertion, de la culture et des sports sur les territoires. Même si la régulation du système de soins est d’une grande complexité et d’une grande technicité, cette loi ne doit pas faire oublier que la santé devrait être dans toutes les politiques (éducative, environnementale, agricole,…). Enfin, regret majeur, l’objectif de réduction des inégalités sociales de santé (ISS) n’est pas nommé alors que c’est une des ambitions de la stratégie nationale de santé ; et le HCSP a rappelé cette évidence dans son rapport de 2010 : pour réduire les ISS, il faut s’en donner l’objectif…
Les dispositions restent timides face à l’enjeu de la santé d’une population vieillissante, qu’il faudra accompagner dans la prise en charge de pathologies chroniques et la perte d’autonomie.
POUR ALLER PLUS LOIN
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