Orientations et gouvernance de la politique de santé environnementale en France
LE DOSSIER DU MOIS
JUIN 2021 :
« Synthèse du rapport d’information santé environnementale : une nouvelle ambition de la Commission des affaires sociales du Sénat »
Pour lire le texte dans son intégralité : http://www.senat.fr/rap/r20-479/r20-479-syn.pdf
INTERVIEW
La politique de santé environnementale en France

LE POINT DE VUE DE :
Elisabeth Gnansia
MÉDECIN
PRÉSIDENTE DE LA SOCIÉTÉ FRANCOPHONE DE SANTÉ ENVIRONNEMENT
Le 24 mars 2021, la Commission des affaires sociales a examiné le rapport sur les orientations et la gouvernance de la politique de santé environnementale. Pouvez-vous en détailler les grandes lignes ?
Je citerai d’abord l’introduction du rapport : aujourd’hui 7 français sur 10 sont convaincus que l’environnement peut avoir un impact sur la santé. Cela souligne l’importance pour la population de voir les décideurs s’intéresser à la santé environnementale.
Le rapport met d’emblée en avant le concept de One Health (une seule santé), c’est-à-dire le fait que l’on ne peut dissocier la santé humaine, la santé animale et celle des écosystèmes, et qu’en conséquence un système de santé ne peut pas être centré sur le soin. Les mesures préventives sont le meilleur moyen de réduire les inégalités de santé.
Les rapporteurs déplorent ensuite quelques points négatifs, notamment la gestion en silo et le portage insuffisant des enjeux transversaux. A partir de ce constat, 29 propositions sont formulées pour une meilleure connaissance des impacts de l’environnement sur la santé et pour sensibiliser les décideurs, comme le grand public. Ces propositions sont réparties en 3 groupes : le pilotage – opérationnel et proactif ; la territorialisation – pour une approche de « proximité positive » et la recherche – pour une amélioration des connaissances et leur diffusion auprès des professionnels de santé et du grand public.
Quel a été le rôle de la SFSE dans ce rapport ?
Lors des auditions d’experts en vue de la rédaction de ce rapport, la SFSE a insisté, comme certainement d’autres intervenants, sur la partie One Health, car la crise sanitaire de la Covid-19 a permis de mettre en exergue les liens étroits qui existent entre la santé humaine, la santé animale et les écosystèmes. L’accent est mis sur la surveillance de la santé animale dans le quatrième Plan National Santé Environnement (PNSE 4). Cependant nous avions aussi souligné l’importance de la surveillance de la santé humaine, mais malheureusement ce nouveau PNSE n’y fait pratiquement pas référence. L’actualité récente a montré qu’un certain nombre de clusters (malformations, cancers pédiatriques, etc.) avaient été identifiés en France, et malheureusement, les structures qui détectent ces clusters ont trop peu de moyens pour les tester et faire avancer la recherche concernant les effets de l’environnement sur la santé. Je ne reviendrai pas plus en détail sur ces éléments qui ont fait polémique, mais je pense que la gestion des clusters en France n’est pas optimale et ce point a été souligné par les rapporteurs.
La SFSE a également eu l’occasion d’insister sur la nécessité de construire des référentiels de qualité pour les formations à la santé environnementale destinées aux professionnels de santé, aux élus, et aux citoyens. Nous avons aussi pu évoquer les actions à mettre en œuvre pour améliorer la qualité de l’air intérieur ainsi que l’importance d’un urbanisme favorable à la santé.
Pouvez-vous nous présenter et nous donner votre avis sur les préconisations de la Commission quant au quatrième Plan National Santé Environnement 4 (PNSE 4) ?
La préconisation première des sénateurs est de faire du PNSE 4 un véritable outil stratégique opérationnel et fédérateur des politiques publiques participant à la santé environnementale. Ils proposent de consacrer dans la loi le statut du PNSE comme étant un plan national chapeau et préconisent une interaction organisée du PNSE 4 avec les politiques sectorielles.
Les sénateurs souhaitaient aussi que soient pris en compte les résultats des plans sectoriels et ministériels avec deux actions :
- Intégrer dans le budget sur la prévention et la promotion de la santé une revue des moyens alloués aux politiques de santé globale, en détaillant notamment les moyens alloués au PNSE et aux plans sectoriels ou ministériels.
- Assortir le PNSE d’indicateurs de résultats, accompagnés, autant que possible, de cibles chiffrées évaluées par le Haut Conseil de Santé Publique.
Notons qu’il existe déjà des indicateurs dans le PNSE 4 tel qu’il a été publié en ce début mai 2021. Néanmoins, je trouve que ces indicateurs ne sont pas assez contraignants. Ils doivent nous renseignent quant à la véritable action sur la santé publique du PNSE. Les indicateurs présents nous décrivent que les actions ont bien été mises en œuvre, mais pas si celles-ci ont eu l’effet escompté. On peut rappeler que le HCSP a publié en janvier dernier une note intermédiaire et un rapport sur des indicateurs composites ou globaux pour le PNSE4. Ils intègrent plusieurs dimensions de la santé environnement en relation avec la multiplicité des expositions ou des effets sanitaires :
- IQUALE ou cartographie de la qualité des environnements pour la population
- iCISTERRES ou cartographie d'indices de vulnérabilité et de résilience au service des territoires en environnement et santé
- charge globale de morbidité / charge environnementale de morbidité
- IBEST ou indicateur de bien-être soutenable et territorialisé
Ces indicateurs ne sont pas précisément nommés dans le PNSE4, mais on peut espérer qu’ils seront utilisés pour les évaluations futures des mesures prises.
La deuxième préconisation est de garantir un portage politique proactif et une coordination interministérielle effective. L’idée du rapport de la Commission des affaires sociales est de formaliser l’existence du Groupe Santé Environnement dans la loi, en le transformant en un Conseil National santé-environnement. Cela n’a pas été réalisé mais le PNSE prévoit un « Comité de pilotage interministériel », co-présidé par le directeur général de la santé et le directeur de la prévention des risques au Ministère de Transition écologique.
Je trouve que c’est une avancée, car jusqu’ici les enjeux de santé environnementale étaient traités par les ministères de la santé, de l’écologie, et parfois les ministères de l’agriculture et de la recherche. Aujourd’hui, on inclut d’autres ministères, comme la cohésion des territoires, la consommation, l’industrie. C’est très important, parce qu’absolument tous les ministères sont confrontés à des problèmes de santé-environnement. C’est une façon de pallier le problème de la gestion en silo.
La Commission des affaires sociales du Sénat préconise une territorialisation des politiques de santé environnementale pour rendre ces dernières plus impactantes. Qu’en pensez-vous ?
Voyons les choses comme cela : les maladies infectieuses affectent les individus de la même manière quelle que soit leur région de résidence. Une épidémie quelque part appelle une prévention équivalente sur chaque territoire. Concernant l’environnement, il existe des différences en fonction des régions (les politiques municipales, la circulation automobile, les pratiques agricoles, etc.) Rien n’est jamais pareil d’une région à une autre. Cela rend l’enjeu de la territorialisation beaucoup plus important.
Les plans régionaux de santé-environnement (PRSN) sont la traduction de ce besoin de territorialisation depuis le premier PNSE. Malheureusement, ces plans ont été victimes d’un manque de moyens mis en œuvre. Il y a une vraie prise de conscience, en France, de la nécessité de territorialisation des actions inhérente à la santé environnementale. Nous pouvons nous en réjouir, à condition qu’assez de moyens y soient consacrés.
Un petit mot pour la fin ?
Je tiens à souligner qu’outre une contribution au rapport sur les orientations et la gouvernance en santé environnementale, la SFSE a soumis une critique de la première version du PNSE 4 sur la plateforme mise en ligne en octobre 2020.
La version définitive présente de notables améliorations. Notons particulièrement :
- Une meilleure prise en compte du concept One Health.
- Une meilleure prise en compte des Évaluations d'Impact sur la Santé (EIS)
- Des indicateurs intégrés pour chaque action (avec les réserves que j’ai évoquées)
- Un langage moins technocratique
- Un document de gouvernance bien fait et des indicateurs budgétaires chiffrés
Certains indicateurs pourraient cependant être plus contraignants, notamment en matière d’étiquetage des produits ménagers. Nous avions également remarqué une grande importance accordée aux risques physiques : la 5G, le bruit, la lumière bleue, les nanomatériaux. Pour certains d’entre eux, les risques sont encore à confirmer, mais ils sont plus mis en avant que les risques chimiques par exemple qui, eux, sont beaucoup plus argumentés et nécessitent une amélioration de la prévention.
Les propositions qui me semblent indispensables sont :
- Le suivi des maladies transmissibles par les animaux
- Le projet de création d’un Green data for Health
- Une meilleure compréhension de l’exposome
- L’importance accordée à l’exposition au bruit, son importance dans la rénovation des logements et sa prise en compte dans les communes
- La formation des professionnels de santé, des élus et des citoyens avec des référentiels de qualité
Il y a une vraie prise de conscience, en France, de la nécessité de territorialisation des actions inhérente à la santé environnementale. Nous pouvons nous en réjouir, à condition qu’assez de moyens y soient consacrés.
POUR ALLER PLUS LOIN
4ème Plan National Santé Environnement
Rapport d’information « Santé environnementale : une nouvelle ambition »
HCSP. Rapport relatif aux indicateurs composites en santé-environnement
Commission d’enquête parlementaire. Évaluation des politiques publiques de santé environnementale (Tomes I et II)
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