Réduction des dommages associés à la consommation d’alcool
LE DOSSIER DU MOIS
AOUT 2021 :
« Expertise collective Inserm consacrée à l'actualisation des connaissances scientifiques sur l’alcool : réduction des dommages associés à la consommation d’alcool »
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INTERVIEW
Effets de l’alcool sur la santé, consommation en France, et stratégies de prévention efficaces

LE POINT DE VUE DE :
Catherine Bernard
MÉDECIN DE SANTÉ PUBLIQUE
ADMINISTRATRICE DE LA SFSP
L'Institut national de la santé et de la recherche médicale a publié, le 4 juin 2021, une nouvelle expertise collective Inserm consacrée à l'actualisation des connaissances scientifiques sur l’alcool. Intitulée « Réduction des dommages associés à la consommation d’alcool », cette expertise aborde les effets de l’alcool sur la santé, sa consommation en France, ainsi que les stratégies de prévention efficaces.
Nous avons interrogé Catherine Bernard, médecin de santé publique, administratrice de la SFSP jusqu’en Juin 2021 à ce sujet.
Dans quel contexte cette expertise collective Inserm a-t-elle été conduite ? Quelles connaissances nouvelles apporte-t-elle au sujet de l’alcool ?
Ce sont le Ministère des solidarités et de la santé et la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) qui ont commandé cette nouvelle expertise, dans une volonté d’actualiser les connaissances scientifiques et de formaliser des recommandations, après plusieurs expertises antérieures sur le sujet de l’alcool (2001, 2003 et 2014). La richesse et l’intérêt d’une expertise de cette nature reposent sur la mobilisation des données publiées les plus récentes avec la mobilisation d’experts de nombreuses disciplines pour éclairer la décision publique et améliorer les pratiques de prévention et de soins, voire de recherche.
Le besoin d’actualisation des connaissances est d’autant plus fort que l’alcool reste un sujet de santé publique majeur qui mobilise aussi fortement les acteurs économiques et plus largement la société civile. Dans ce contexte, il importe de s’appuyer sur des données avérées pour atteindre les objectifs de réduction des risques et les dommages liés à sa consommation. Celle-ci a diminué depuis près de soixante ans mais reste élevée et engendre un coût social très lourd dans notre pays (environ 118 milliards, soit 6% du PIB). A l’origine d’une soixantaine de maladies, il est la première cause d’hospitalisation, plus de 40 000 décès lui sont attribuables chaque année ainsi que de nombreux handicaps, en particulier ceux liés au troubles du neuro-développement chez l’enfant exposé en période prénatale à l’alcool (avec sans doute beaucoup de connaissances à venir notamment dans le domaine épigénétique qui pourraient permettre d’améliorer les approches thérapeutiques).
Pour autant, cette question n’est pas prise en compte à hauteur de ses enjeux !
Parmi les connaissances scientifiques nouvelles ou confirmées dans l’expertise, on peut relever l’effet néfaste démontré de toute consommation d’alcool y compris pour des faibles niveaux de consommation. Le fameux « French paradox » n’existe pas : il n’y a pas de consommation d’alcool bénéfique pour la santé, même lorsqu’il s’agit de consommations à faible dose. Il n’est, pour autant, pas question de promouvoir une approche prohibitionniste, mais de s’inscrire dans une approche de réduction des risques et des dommages tant au niveau individuel que collectif. D’autres connaissances qui ne sont pas forcement nouvelles mais de plus en plus robustes sont réaffirmées par les experts : la consommation est un phénomène plurifactoriel (collectif, familial, individuel, etc.), la prévention est efficace mais la bonne volonté seule ne suffit pas, et les experts rappellent la nécessité de prendre appui sur des théories explicites d’intervention et de faire preuve de rigueur pour développer des interventions structurées (soutien à la parentalité, compétences psychosociales etc..). Enfin les experts insistent sur les connaissances encore insuffisantes dans de nombreux domaines et l’absolue nécessité d’amplifier les dynamiques de recherche avec les financements adéquats (recherche fondamentale, épidémiologique et interventionnelle, mobilisant les sciences humaines et sociales, l’épigénétique…)
Quelles recommandations les experts proposent-ils pour « réduire les dommages associés à la consommation d’alcool » ?
L’intérêt du travail de recension de la littérature conduit par les experts, travail conséquent (le document final fait 700 pages !) est de faire des recommandations fondées sur des preuves ou sur des éléments d’efficacité établis dans la littérature. Ces recommandations visent à la fois les politiques publiques (y compris le cadre législatif et réglementaire), et les pratiques professionnelles dans les champs de la prévention, de la prise en charge, de l’accompagnement des personnes, etc. Ces recommandations incluent aussi le champ de la recherche et souligne la nécessité de structurer une recherche plus importante, plus ambitieuse, sur des sujets et outils nouveaux et de fédérer les différentes équipes de recherche.
J’invite les lecteurs à se plonger dans l’expertise (ou tout du moins sa synthèse !), pour découvrir le détail et la richesse de ces recommandations, mais je voudrais en mettre en avant une qui me parait essentielle : la France doit se doter d’un cadre national clair et cohérent visant à réduire les dommages liés à la consommation d’alcool, avec une feuille de route permettant d’adopter des mesures efficaces, en s’inscrivant dans une démarche à développer au sein de l’Union européenne.
Dans ce cadre global de lutte contre l’alcool, les leviers les plus efficaces qui doivent être actionnés simultanément, ne sont pas les plus coûteux :
- Limiter l’accessibilité à l’alcool avec des modalités renouvelées par exemple pour réguler le nombre de débits de boissons alcoolisées et leurs heures d’ouverture, comme en l’Angleterre avec la mise en place des commissions multipartites qui travaillent sur la base d’indicateurs de santé et d’ordre publics. Il est rappelé l’importance de faire respecter l’interdiction de la vente d’alcool aux mineurs et les expériences acquises aux Pays Bas ou au Québec sont instructives (formation des vendeurs, utilisation d’outils de vérification de l’âge des clients, contrôles et sanctions dissuasives). Cela change les normes et les représentations. Les jeunes peuvent consommer plus difficilement et l’environnement devient plus protecteur. L’augmentation des prix avec les deux leviers d’une taxation plus cohérente et de la mise en place d’un prix minimal fixé par gramme d’alcool sont des mesures efficaces pour réduire la morbi-mortalité liée à l’alcool comme le démontre déjà depuis quelques années l’Ecosse.
- Réduire l’attractivité de l’alcool. L’expertise souligne la nécessité d’une régulation effective de la publicité et du marketing. En France, la loi Évin de 1991 a subi un dé-tricotage progressif, et est trop souvent contournée. Les experts recommandent de « re-tricoter » cette loi, pour retrouver son esprit d’origine, favorable à la santé publique, de la faire respecter et de mieux contrer les stratégies de marketing qui valorisent les conduites d’alcoolisation en particulier auprès des jeunes.
- Renforcer les connaissances et les compétences de tout un chacun et rendre plus claire la communication des autorités publiques vis-à-vis du grand public sur les risques liés à l’alcool (informer et sensibiliser sur les repères de consommation établis par SpF et l’InCa en 2017, encourager toute réduction de la consommation d’alcool et le zéro alcool pendant la grossesse…).
Adopter une stratégie globale est plus efficace qu’une succession de mesures. Ces différents leviers doivent être structurés, conjuguer des interventions collectives et personnalisées y compris en utilisant la e-santé et en adaptant les informations et messages en fonction des publics.
Quels leviers au niveau de la prévention, quelles modalités d’interventions efficaces pourraient améliorer la réduction des dommages associés à la consommation d’alcool ?
Quel que soit le niveau de consommation, individuel ou collectif, on peut, par des moyens adaptés, réduire les dommages liés à cette consommation.
Pour prévenir les consommations, plusieurs types d’interventions comme le soutien à la parentalité, le développement des compétences psycho-sociales de jeunes, etc. sont efficaces. Ce sont des interventions connues en promotion de la santé comme efficaces pour agir plus globalement sur d’autres déterminants de la santé ! Des actions plus spécifiques permettent d’agir sur les normes perçues de consommation ou sur les stratégies pour limiter les conséquences négatives de la consommation d’alcool et l’expertise collective est riche en informations diverses sur ce sujet.
L’expertise collective évoque aussi le besoin d’améliorer la formation des professionnels de santé, notamment ceux de premier recours, pour mettre à l’ordre du jour d’une consultation, la question de la consommation. Interroger les gens sur leur consommation est un premier acte qui permet d’identifier et évaluer un risque, éventuellement mettre en place une intervention brève. Le sujet de l’alcool reste trop souvent un sujet tabou, et même si certains patients se sentent en difficulté par rapport à leur consommation (ou, à l’inverse ne perçoivent pas les risques auxquels ils s’exposent), ni eux ni le professionnel de santé ne vont aborder le sujet pendant la consultation. Or il est nécessaire de le faire au regard des enjeux individuels et collectifs de ce déterminant majeur de la santé, pour si besoin adapter une information individualisée voire mettre en route un accompagnement personnalisé sur la base des objectifs de la personne, associant les professionnels de premier recours et parfois les acteurs spécialisés.
Pouvez-vous expliquer en quoi consiste l’approche de réduction des risques et des dommages liés à l’alcool au niveau individuel ? Pouvez-vous nous donner quelques exemples ?
Sans jugement, sans prérequis exigé par le professionnel, il s’agit de répondre et s’adapter aux besoins des patients en étant très pragmatique. Etre à ses côtés, sur la base d’objectifs partagés et régulièrement actualisés avec la personne, qui prennent en compte sa qualité de vie, en construisant une relation de confiance, en mobilisant les soins et les modalités d’accompagnement les plus efficaces possibles, souvent en partenariat avec d’autres acteurs, au regard de ses difficultés et en prenant appui sur ses compétences et ses expériences. C’est ça, de mon point de vue, une approche de réduction des risques.
L’accompagnement des personnes doit reposer sur une approche médico-psycho-sociale et à titre d’exemple, l’expertise rappelle que l’accès au logement est une urgence thérapeutique qui ne doit pas être assujetti à l’observance préalable aux soins addictologiques. Elle rappelle aussi la fréquence des troubles cognitifs qui concerneraient au moins la moitié des patients présentant une consommation à risque et peuvent diminuer l’efficacité des stratégies utilisées d’où l’importance de leur repérage et de leur prise en charge.
D’autres exemples de données scientifiques, permettent d’accompagner utilement et efficacement des patients même avec une consommation assez sévère, sur des stratégies de contrôle des consommations ou pour en minimiser les effets sur eux-mêmes ou sur leur entourage.
En complément des données mobilisées par l’expertise collective il importe de travailler également, à partir de l’identification d’expériences développées par différentes équipes, pour capitaliser ces expériences et favoriser l’appropriation et le développement de pratiques plus opérantes par d’autres acteurs. C’est l’objectif du projet SeRra, actuellement mené par la SFSP, qui bénéficie d’un financement du Fonds de lutte contre les addictions et du soutien de Santé publique France et de la Direction générale de la santé. Grâce à ce projet, la SFSP travaille à l’identification des éléments prometteurs qui permettent de développer les pratiques de réduction des risques dans la vie réelle.
Un petit mot pour la fin ?
Je reviendrais sur la nécessité de développer un cadre national et une stratégie globale pour adopter des mesures efficaces de réduction de la consommation d’alcool et des risques et dommages afférents. On ne peut qu’encourager les pouvoirs publics - qui en ont besoin selon moi ! - à développer des politiques plus cohérentes dans le champ de l’alcool en prenant appui sur le contenu de cette expertise.
Mais c’est aussi à chacun de nous, individuellement et collectivement au sein de nos équipes de travail, de réinterroger nos pratiques au regard de ces recommandations pour promouvoir la réduction des des dommages liés à l’alcool.
A tous, bonne lecture, de la synthèse …et en tant que de besoin de l’expertise elle-même qui reste à consulter sans modération !
Quel que soit le niveau de consommation, individuel ou collectif, on peut, par des moyens adaptés, réduire les dommages liés à cette consommation
POUR ALLER PLUS LOIN
Expertise collective Inserm : Réduction des dommages associés à la consommation d'alcool
Inserm : Alcool : Effets sur la santé. Synthèse et recommandations (Expertise collective)
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