Bilan et nouvelles orientations de la politique de Santé au Travail en France
LE DOSSIER DU MOIS
OCTOBRE 2021 :
« Bilan du 3ème Plan Santé au Travail 2016-2020, Ministère du Travail, de l'Emploi et de l'Insertion »
Pour lire le texte dans son intégralité : https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/pst3_2016-2020_bilan_vok.pdf
INTERVIEW
La politique de santé au travail en France

LE POINT DE VUE DE :
Philippe Anton
DÉTACHÉ DE L’AP-HP
PSYCHOLOGUE DU TRAVAIL-ERGONOME
CHERCHEUR EN SCIENCES DE GESTION
Le 13 juillet 2021, le ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion publie le bilan du Plan santé au travail 2016-2020 (PST 3) et de ses 17 plans régionaux, que peut-on en retirer ? Pouvez-vous en détailler les grandes lignes ?
Dans le prolongement du précédent Plan santé au travail, le PST 3 met l’emphase sur la mise en œuvre de la prévention des risques professionnels, au niveau secondaire et tertiaire, avec la construction d’actions - notamment sous l’égide de l’Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact) et des ARACT, ses pendants régionaux - qui ont permises de mettre en place certains dispositifs innovants d’expérimentations. Je pense, par exemple, aux clusters « Qualité de Vie au Travail » (QVT). Les actions pour la prévention des risques psychosociaux commencent progressivement à porter leurs fruits. Le rapport tend à mettre en perspective différents axes intéressants par rapport au domaine de la médecine de prévention.
Selon vous, quelles ont été les réussites du PST 3 dans sa mise en œuvre de 2016 à 2020 ?
Les réussites du PST3 sont toutes les actions engagées par les différents acteurs au niveau régional sur différents types d’accompagnement. Je pense aux ARACT et à leur projet de clusters, visant à l’accompagnement des TPE et PME, par exemple. L’accompagnement est un point qui nécessite continuellement des progrès mais qui a été plus présent, dernièrement. Je pense, aussi, au travail de coordination fait par les ARACT, les différentes expérimentations qui ont pu être menées par les différents partenaires et acteurs inter et intra régionaux. Ces derniers sont, sur différentes typologies de risques, parvenus à des niveaux de résultats assez intéressants. Ce travail de coordination est encore à améliorer, mais nous pouvons souligner les efforts d’investissements qui ont été engagés.
L’autre point important– par rapport aux acteurs et à la coordination – est le Fonds National de Prévention. Dans le rapport, ce dernier n’apparait pas et c’est dommage parce que par rapport à toutes les actions qui peuvent être menées sur le champ de la prévention dans la fonction publique, le Fonds constitue un acteur essentiel et incontournable.
Les textes parlent beaucoup du sujet de la qualité de vie au travail, c’est un terme très vaste : qu’est-ce qu’on entend selon vous par « qualité de vie au travail », qu’est-ce que cela implique ?
Si l’on reste sur la définition de la psychologie positive, la qualité de vie au travail peut être définie comme un objet stratégique, dont l’objectif est de contribuer à la construction de différents types d’actions qui participent à la performance de l’organisation. La notion de performance organisationnelle est à souligner, ici. Prenons à titre d’exemple un projet emblématique que nous avons mené il y a bientôt 10 ans à l’AP-HP. L’objectif était d’intégrer la qualité de vie au travail dans la conception d’un laboratoire P3 notamment en identifiant les leviers à mobiliser pour accompagner les acteurs (biologistes, techniciens, administratifs, cliniciens) à développer les critères de qualité et de sécurité au service de l’usager. La performance organisationnelle c’est cela ! C’est l’alignement de processus qui vont participer à la construction de la performance, en permettant aux acteurs de bien faire leur travail.
La qualité de vie au travail est, donc, un ensemble de variables identifiables que l’on arrive à mesurer. Ces variables permettent de savoir si une organisation est en mesure de développer un processus qui participe à la qualité de vie au travail des acteurs.
La qualité de vie au travail est très mal appréhendée en France, malgré nos efforts. On remarque que l’on tombe souvent dans les écueils de la logique de réparation, ou des écueils liés à des dimensions plus individualisées de prise en charge. Finalement, une dimension plus hygiénique de travail. Je ne dis pas que je suis contre, mais je pense que c’est appliquer une forme de réductionnisme à ce que l’on définit par QVT et situer celle-ci comme objet périphérique par rapport à un positionnement plus stratégique dans une organisation.
Le PST 3 mais aussi le futur PST 4 donnent la priorité à la prévention primaire, qu’en pensez-vous ?
À la lecture, on peut voir beaucoup d’invitations au diagnostic - en mobilisant clairement les acteurs de recherche sur le sujet – cependant les enjeux de gouvernance passent par la construction de capacités dynamiques qui nécessitent de traduire la qualité de vie au travail par une réponse managériale. En effet il y a eu beaucoup de diagnostics ces quinze dernières années, sur différentes thématiques en lien avec la santé au travail. C’est très intéressant mais ce n’est pas là que les capacités de réponses seront pertinentes pour dépasser les axes que l’on retrouve alors dans le PST 3.
Cela est à mettre en perspective avec le travail que j’ai publié sur l’agilité organisationnelle et la crise de la Covid-19 ; beaucoup de diagnostics, beaucoup de modes opératoires, beaucoup de dispositifs pensés dans le cadre de la gestion des Plans Blancs, mais par rapport à un risque inédit marqué par une ampleur importante, finalement on revient sur certains facteurs clés, ceux de la plasticité et de l’adaptabilité - en lien avec une capacité dynamique à mobiliser des acteurs et donc des acteurs bien préparés.
À part ce sujet, espérez-vous d’autres orientations dans le PST4 ?
Oui, le couplage avec la santé publique. Que ce soit à propos du télétravail, des nouvelles technologies d’information et de communication, du sommeil, de l’hygiène alimentaire, etc.
Il y a encore beaucoup de travail qui passe par l’évolution des systèmes de représentation et à ce jour, il existe des dispositifs dans les organisations destinés à travailler sur le développement des RH qui constituent des coquilles vides, c’est-à-dire en inertie bureaucratique par rapport à leur pilotage et animation. Donc, finalement, on met en place des étiquettes, mais le problème c’est que les acteurs dans leurs têtes ont encore des logiques trop vieillottes. Les systèmes ne sont pas évolués et cela ne concourent pas à promouvoir la qualité de vie au travail. À ce jour, il existe une nécessité de montée en compétences, et d’évolution des modes de représentations. On a encore certains acteurs qui restent arc-boutés dans un conformisme administratif par aversion du risque et qui reproduisent des schèmes de fonctionnement procéduraux moins couteux dé-corrélés du besoin d’accompagnement des personnes.
Les cadres règlementaires sont là, le gouvernement inscrit beaucoup d’efforts sur ce sujet-là. Il y a des éléments structurants qui sont très séduisants dans la mise en place PST4.
Le bilan est plutôt positif par rapport aux actions gouvernementales qui sont portées et projetées en termes de structuration, par rapport aux efforts qui sont fait, aux acteurs locaux et puis certains acteurs institutionnels. Malheureusement, on retrouve des écueils, notamment sur 3 points : L’action des PU PH en santé au travail reste encore majoritairement polarisée sur les risques physiques au détriment d’une réelle contribution et capitalisation sur la qualité de vie au travail. Différents dispositifs expérimentaux interdisciplinaires pourraient ainsi concourir à renforcer le travail amorcé pour faire évoluer les représentations des acteurs de façon à ancrer la qualité de vie au travail comme objet stratégique.
La qualité de vie au travail est très mal appréhendée en France, malgré nos efforts. On remarque que l’on tombe souvent dans les écueils de la logique de réparation, ou des écueils liés à des dimensions plus individualisées de prise en charge.
POUR ALLER PLUS LOIN
Bilan du Plan Santé au Travail 2016-2020
Anton, P (2020) « Fondements et analyse du rôle des espaces de concertation dans le cadre de la mise en œuvre de projets pilotes au sein d’une collectivité » Thèse de Doctorat en Sciences de gestion de l’Université de Nantes.
Guide de la qualité de vie au travail – Outils et méthodes pour conduire une démarche QVT edition 2019 DGFAP
Anton, P. (2018). Manager des espaces de concertation dans le cadre d’un projet de transformation au sein d’une collectivité locale : quels liens avec la satisfaction au travail, le changement et les comportements pro-sociaux ?. Question(s) de management, 21(2), 55-64. https://doi.org/10.3917/qdm.182.0055
DARES analyses décembre 2017 N° 082 Quelles sont les évolutions récentes des conditions de travail et des risques psychosociaux ?
Anton, P., Desrumaux, P., Nsame Sima, M. & Fouquereau, E. (2016, juillet). « La santé psychologique au travail en termes de burn-out et de bien-être en milieu hospitalier : quels liens avec la charge, la reconnaissance, les soutiens et l’assertivité »? Congrès de l’AIPTLF, Bruxelles
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