Les propositions de la Convention Citoyenne sur la fin de vie
LE DOSSIER DU MOIS
MAI 2023 :
Rapport de la Convention Citoyenne sur la fin de vie, CESE, Avril 2023
INTERVIEW
Les propositions de la Convention Citoyenne sur la fin de vie
LE POINT DE VUE DE :
Giovanna Marsico
DIRECTRICE DU CENTRE NATIONAL DES SOINS PALLIATIFS ET DE LA FIN DE VIE
Avez-vous tenu un rôle concernant la Convention Citoyenne sur la fin de vie ? Si oui, lequel ?
Je dirige le Centre national de soins palliatifs et de la fin de vie. Il s’agit d’une instance de référence et de ressources, un centre d'expertise et d'accompagnement au débat public sur les questions relatives à la fin de vie.
Le Centre a été sollicité par le CESE dans le cadre de la mission gouvernementale qui lui a été confiée par la Première Ministre et le Président de la République. Il s’agissait d’organiser et de piloter la Convention Citoyenne sur la fin de vie. Nous avons donc intégré le comité de gouvernance en charge de la mission.
J’ai donc eu l’honneur de représenter le Centre national au sein de ce comité de septembre 2022 à avril 2023 à hauteur d’une réunion hebdomadaire et de 9 week-end dédiés à la thématique de la fin de vie. Le comité de gouvernance est composé de 6 membres du CESE, dont la présidente, de 2 membres du CCNE, de 2 chercheuses dans le domaine de la participation, d’une philosophe, de 2 citoyens de la convention citoyenne sur le climat et moi-même. Avec le CCNE, je représentais la seule structure vraiment experte sur les questions de bioéthique et de fin de vie.
L’un des premiers constats évoqué dans le cadre du rapport est que le cadre actuel d’accompagnement de la fin de vie n’est pas adapté aux différentes situations rencontrées, notamment à cause de l’inégalité d’accès rencontrée lors de l’accompagnement de la fin de vie. Pouvez-vous développer les enjeux concomitants à cette raison ? Comment assurer l’égalité d’accès à l’accompagnement à la fin de vie ?
En effet, l'accès aux soins palliatifs est encore perfectible en France. Dans la troisième édition de l’Atlas des soins palliatifs et de la fin de vie que nous avons publié, les chiffres sont assez clairs. La couverture de l’offre est très inégale en ce sens que 21 départements français n'ont pas d'unités de soins palliatifs (unités spécifiques au sein des hôpitaux).
Toutefois, et c'est important de le préciser, il existe d'autres offres de soins palliatifs (équipes mobiles, lits identifiés en soins palliatifs, professionnels formés aux soins palliatifs) dans ces départements - sauf Mayotte. Mayotte est vraiment le seul territoire où il n’y a qu’une équipe mobile de soins palliatifs.
Tout ceci, en revanche, est à remettre dans un cadre de réflexion concernant les réels besoins des populations. Jusqu'à maintenant, on a toujours réfléchi sur la base d’interventions spécialisées en soins palliatifs dans des situations de fin de vie accompagnées par une ou plusieurs pathologies. On sait aujourd’hui que toutes les fins de vie n’ont pas forcément besoin de soins spécialisés. En revanche, toutes profitent d'une approche palliative et cette approche palliative peut être mise en place par des professionnels sensibilisés aux soins palliatifs dans un cadre plus holistique de la prise en charge.
Une nouvelle instruction va bientôt remplacer la circulaire de 2008 qui organise les soins palliatifs sur le territoire. Elle prendra plus en compte la complexité de la situation (modérée, complexe, etc.). On peut imaginer que dans une situation à la complexité modérée, la personne puisse être prise en charge soit au domicile, soit dans un service de soins non spécialisés avec des professionnels sensibilisés et formés, mais qui n'ont pas nécessairement de diplômes de soins palliatifs.
Aujourd’hui, les personnes qui ont besoin d'un accompagnement palliatif ne trouvent pas de solutions qui leur conviennent suffisamment. Entre 1% et 1,4 % d'une population pourrait avoir besoin de soins palliatifs, selon les estimations élaborées par la littérature internationale[1]. Ce besoin accru est entre autres une conséquence de l'innovation technologique et de soins qui permet de prolonger l'espérance de vie des personnes. Toutefois en France, à la différence d'autres pays, l'écart entre l'espérance de vie et l'espérance de vie en bonne santé demeure encore important.
[1] Gomez-Batiste X. et al. “Identifying needs and improving palliative care of chronically ill patients: a community-orientated, population-based,public health approach” Curr. Opin.Supp. Palliative care 2012;12:371-378
Comment les professionnels évaluent le niveau de complexité que vous abordez plus haut ? Grâce à des référentiels ?
Ils s’appuient énormément sur la littérature scientifique et sur des outils comme le Golden Framework[1]. Certains outils sont adoptés par la littérature scientifique et sont utilisés fréquemment chez les palliativistes. En revanche, les autres professionnels de santé n'ont pas forcément cette culture de la fin de vie - qui permet de définir justement ces niveaux de complexité. L’un des modèles existants, très simple, est celui de la question « Seriez-vous surpris si votre patient était encore en vie l'année prochaine ? ». Ça permet au professionnel de commencer à réfléchir. Mais c'est vrai que c'est une question de culture professionnelle. Nos professionnels de santé sont beaucoup plus éduqués au curatif qu’à la prise en charge de la fin de vie. Et donc tout cela demande un vrai investissement aussi dans la formation des professionnels pour pouvoir essaimer cette culture de la fin de vie.
[1] Thomas K. Prognostic Indicators Guidance (PIG). 4th ed. The Gold Standards Framework Centre in End-of-Life Care CIC, 2011. http://www.goldstandardsframework.org.uk/LibraryofResourcesPresentationsandLinks.
La formation des professionnels non spécialisés en soins palliatifs est d’ailleurs l’un des sujets développés dans le rapport de la Convention Citoyenne sur la fin de vie. Que retenez-vous d’autres à propos de ce rapport ? Des propositions vous ont particulièrement marquées ?
Il y en a plein. Si je parle avec ma casquette de directrice du Centre national, il y a la question de l'information et de la sensibilisation de la population et des professionnels sur les questions de fin de vie. C'est difficile pour une personne de se projeter dans la fin de vie ou de se projeter dans la fin de vie de ses proches, et donc de toucher ces questions, de s'informer, de se renseigner sur les droits. Pourtant, des droits existent, mais on voit bien que certains sont très peu mobilisés (directives anticipées, désignation d’une personne de confiance, obtention d’une sédation profonde et continue, etc.). Il s’agit vraiment d’un sujet majeur. Donc l’enjeu de l'information, mais qui est lié à une question qui me tient vraiment beaucoup à cœur ; celle de la de la prise de décision partagée, celle de l'investissement de la personne dans les décisions qui la concernent.
Et puis, il y a une autre question qui a été traitée et qui est très importante à mon sens, c'est la question de l'accompagnement à domicile. La France a un modèle de santé très hospitalo-centré. Les statistiques indiquent que 53 % des personnes décèdent à l'hôpital, Seulement 23 % des décès se passent au domicile. Le reste concerne les Ehpad, les institutions, etc. Et tant les personnes qui décèdent à domicile que celles qui décèdent en Ehpad sont confrontées à un départ aux urgences fréquent dans les derniers jours de leur vie. Donc la réflexion autour de « comment appliquer le choix de la personne au moment du décès ? » est très importante. Encore une fois, si on revient aux besoins réels, tout le monde n’a pas besoin d'être accompagné dans un hôpital ou dans des structures de soins à son décès.
Il y aussi la question de l'approche financière de la fin de vie, avec une valorisation à l’acte qui n'est pas du tout adaptée au parcours longs. C'est la même chose que pour les maladies chroniques. Et puis il y a la question de l'aide active à mourir qui a occupé beaucoup de temps et d'énergie pour nos 184 citoyens, mais qui a généré des échanges très constructifs et respectueux.
A ce propos, 75,6% des votants lors de cette Convention Citoyenne se sont positionnés en faveur de l’aide active à mourir. Le quart des citoyens opposés à cette modalité ont évoqués : « les risques de déstabilisation de notre système de santé face aux réticences fortes d’une partie des professionnels de santé ». Selon vous, le système de santé français est-il prêt à accueillir l’aide active à mourir ?
Je suis assez confiante sur la capacité du système à absorber les évolutions. Ça nécessite du temps et de la formation mais je pense que la France n'a rien à envier à d'autres pays. Si on regarde l'incidence de l'aide active à mourir sur les décès annuels des différents pays, on passe du 0,6% des décès par aide active à mourir en Oregon jusqu'à maximum 4% aux Pays-Bas, avec des variations (2,5% en Belgique, 0,8% en Suisse). Ce sont des pays dans lesquels l’active à mourir existe depuis plus de 20 ans. Bien sûr, il existe une crainte de la “pente glissante”, d’une ouverture sans limites, etc. Toutefois l'Histoire nous montre que ce n'est pas forcément la réalité et que quand les critères d'éligibilité sont élargis, cela est aussi le fruit d'une volonté de la société.
Il y a, par ailleurs, eu une précaution très importante des citoyens de la Convention au sujet du rôle des professionnels. Cette précaution est le fruit d’une écoute attentive par les conventionnels des paroles des professionnels qui sont intervenus à plusieurs reprises. Il s’agissait majoritairement de professionnels impliqués dans les soins palliatifs, donc très concernés par la question et qui ont souligné leurs craintes. L'introduction d'une aide active à mourir ou une dépénalisation de l'aide active à mourir pourrait remettre en cause la valeur, le sens de leur travail. D'ailleurs, des tribunes ont été publiées, par la Société savante des soins palliatifs par exemple, à ce sujet.
D’autres professionnels s’orientent vers une modlaité d’aide active à mourir qui pourrait être celle de la dépénalisation de l'aide au suicide assisté. Il s’agit de ma perception bien sûr mais il est possible que pour rendre acceptable l’aide active à mourir aux professionnels, et notamment ceux qui s'occupent des personnes en fin de vie au quotidien et qui font un travail remarquable, l’introduction de l’aide au suicide assisté pourrait être un choix envisageable. Le suicide en France n'est pas un crime, mais l'aide au suicide est reprimé par le Code pénal tant s’agissant de la provocation au suicide, que dans le cas de la non-assistance de la personne en péril. Donc la logique serait éventuellement de dépénaliser cette aide au suicide, qui pourrait par ailleurs ne pas nécessairement impliquer les professionnels. Par exemple, en Oregon, la présence du professionnel de santé lors de l'acte est recommandée, mais n'est pas nécessaire. Évidemment il s’agit là d’un choix de société qui dépend du sens donné à l’aide active à mourir, selon qu’elle soit considérée un interdit, un acte individuel ou un soin porté par les soignants.
Qu’en est-il du code de déontologie médical ?
Alors le code de la santé publique indique que le professionnel de santé ne doit rien faire pour provoquer le décès et qu’il doit au contraire l'empêcher par tous les moyens. Dans l’hypothèse d’une évolution législative, il serait donc nécessaire de faire évoluer également ce texte. Un point important, c'est ce qu'on met derrière le sens de l'aide active à mourir. Il est certain que l’acte commis par un sujet qui induit le décès chez une personne qui n’en fait pas la demande ou dont les capacités de discernement sont abîmées, n’est rien d’autre qu’un crime. Toutefois pour le 76% des citoyens de la convention, le fait d’accompagner une personne qui a des souffrances réfractaires, qui a un pronostic engagé, une maladie létale, dont la capacité de discernement est bien évaluée et vérifiée et qui le réclame, cela s’apparente plus du soin que d'autres choses. Et moi, je serai vraiment très attentive à sortir cette question de la logique médicale pure. Il s'agit d'une question de société. Et sur la question de société, les citoyens ont leur mot à dire.
Qu’en est-il de l’accès des mineurs à l’aide active à mourir ?
Une grande majorité des conventionnels était contre. La question des mineurs est une question qui a fait débat et qui fait peur. Les citoyens ont beaucoup fait référence aux crises que les adolescents peuvent rencontrer et au risque que l'ouverture de l'aide active à mourir pour les mineurs puisse faire l'objet d'une saisine fréquente.
Ils ont également entendu la parole de professionnels qui ont évoqué des questions de souffrance réfractaire, de maladie létale et de pronostic à court terme pour des enfants qui souffrent. Forcément, parler de mineurs, parler d'enfants est quelque chose de terriblement émotionnel. Si déjà les discussions sur la fin de vie sont très intimes et très émouvantes, là c’était encore plus difficile.
L’une des propositions concerne l’amélioration de l’organisation du parcours de soins de la fin de vie, qu’est-ce que cela implique, notamment dans la pratique ?
Les citoyens ont plutôt fait des constats et exprimé des souhaits, mais ils ne sont pas vraiment rentrés dans les détails de ce qu'ils pourraient proposer. Si on analyse le parcours actuel de soins, de la fin de vie et peut être des modèles à l'étranger, on peut se questionner sur la pertinence des organisations actuelles. On revient à la discussion qu’on avait au début, concernant l'adéquation du modèle du système de santé actuel, un modèle qui est confronté à l'augmentation extrêmement importante de personnes qui peuvent avoir besoin d'un accompagnement palliatif. Dans 30 ans, le nombre de personnes âgées de plus de 95 ans aura doublé. Aujourd'hui, c'est 1 % de la population. Dans 30 ans, ça sera le 5 % de la population. Donc, c'est clair que les besoins augmentent de façon vertigineuse, exponentielle et que le modèle hospitalo-centré est un modèle qui ne peut plus tenir.
Il faut vraiment réfléchir à sortir de ces modèles classiques, essayer de ne plus mettre de rustines et penser à d'autres modèles qui éventuellement impliquent d'autres professionnels, des délégations de tâches, des nouveaux métiers, des implications plus importantes des acteurs du territoire.
La clé, c'est vraiment la question de la personnalisation du parcours, de l'anticipation. Et donc, « comment éviter qu'il y ait des ruptures dans le parcours, comment préserver la volonté de la personne et comment laisser la personne changer d'avis si elle le souhaite ? ».
Convention Citoyenne sur la fin de vie, quelle est la suite ?
Le 3 avril, les citoyens ont rendu le rapport au président de la République et à l'Elysée. Pendant son discours, le président a évoqué trois pistes :
- Il souhaite confier à nouveau au CESE la mise en place d’une convention citoyenne. C'est important parce que ça montre tout l'intérêt de cette démarche, de la méthodologie qui a été adoptée.
- La deuxième grande annonce est celle d'une stratégie décennale de la fin de vie qui va se mettre en route. Actuellement, la ministre Firmin Le Bodo et ses services travaillent à l'organisation d’un comité qui va bâtir la stratégie. Et normalement, la stratégie devrait prendre place à partir du 1ᵉʳ janvier 2024. L’intérêt d’une stratégie décennale est primordial, il y a une volonté d'aller au-delà du temps politique, dans un temps de structuration de la société et de la santé.
- Et le troisième point concerne la demande du président de la République au Gouvernement et au Parlement de présenter un projet de loi sur la fin de vie d'ici la fin de l'été.
Vous serez présents au congrès de la SFSP qui a lieu au mois d’octobre à Saint-Etienne pour parler de la thématique de la fin de vie ? D’autres thématiques ?
Oui, nous aborderons principalement deux sujets très importants ; l'implication des citoyens dans l'élaboration des politiques publiques, notamment de santé publique, à partir du modèle de la Convention Citoyenne et le second à propos de la prise de décision partagée. Comment la prise de décision partagée, un modèle clinique qui existe depuis des décennies, est très exploitée à l'étranger ?
Donc l'idée est de réfléchir ensemble lors du congrès à propos de ces axes-là. Et on prépare quelques surprises. Je ne vais pas tout dévoiler.
Un mot pour conclure ?
Nous sommes ravis de pouvoir faire ce croisement entre un sujet qui est celui de la fin de vie, qui a toujours été un peu à l'écart des réflexions de la société, avec des spécialistes, des experts de la santé publique durant ce congrès. Nous estimons que dans les réflexions en santé publique, les enjeux de la fin de vie ont tout leur sens. Bien que cela soit difficile à imaginer, on peut aussi faire de la prévention en ce qui concerne la fin de vie.
Dans 30 ans, le nombre de personnes âgées de plus de 95 ans aura doublé. Aujourd'hui, c'est 1 % de la population. Dans 30 ans, ça sera le 5 % de la population. Donc, c'est clair que les besoins augmentent de façon vertigineuse, exponentielle et que le modèle hospitalo-centré est un modèle qui ne peut plus tenir.
POUR ALLER PLUS LOIN
Rapport de la Convention Citoyenne sur la fin de vie, CESE, Avril 2023
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