Accès aux soins et engagement territorial des professionnels
LE DOSSIER DU MOIS
JANVIER/FÉVRIER 2024 :
Promulgation de la loi du 27 décembre 2023 visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels
INTERVIEW
Accès aux soins et engagement territorial
LE POINT DE VUE DE :
Gilbert Hangard
PRÉSIDENT D'ÉLUS SANTÉ PUBLIQUE ET TERRITOIRES
ADJOINT À LA SANTÉ D'ALBI
Pour débuter, pouvez-vous rappeler quelles sont les mesures marquantes de cette loi ?
Ce texte met en place un ensemble de mesures, visant à mieux coordonner l’organisation territoriale des soins et à mieux répartir les compétences et les responsabilités de chacun des acteurs :
- Le Conseil territorial de Santé (CTS) est renforcé dans ses missions et ses responsabilités.
- La responsabilité d’organisation de la permanence des soins en établissements de santé (PDSES) est étendue.
- Les groupements hospitaliers de territoire (GHT) sont simplifiés grâce à la possibilité d’acquérir la personnalité morale.
- L’interdiction de l’intérim en début de carrière soignante.
- La création de la fonction d’infirmier référent pour les patients en affection de longue durée (ALD) et le renforcement du rôle du médecin coordonnateur en EHPAD.
- Le bénéfice des aides financières et des exonérations fiscales à l’installation est limité à une attribution tous les 10 ans
- Les médecins, sage-femmes et dentistes souhaitant cesser définitivement leur activité seront désormais tenus de respecter un préavis de six mois,
- La majoration du ticket modérateur appliquée aux patients perdant leur médecin traitant du fait de son départ à la retraite ou de son déménagement est supprimée la première année.
- L’exercice des praticiens diplômés hors de l’Union européenne (PADHUE) est facilité avec de nouvelles autorisations d’exercice provisoire.
- Le bénéfice du contrat d’engagement de service public (CESP) est étendu aux étudiants en médecine, odontologie, maïeutique et pharmacie dès la fin de la deuxième année d’études.
- La possibilité est également accordée aux collectivités locales de verser des indemnités de logement et de déplacement aux étudiants dentistes de 3e cycle.
De façon concrète, à Albi par exemple, quelles nouvelles politiques publiques cette loi permettrait-elle de mettre en oeuvre ?
Il est un peu tôt pour dire ce que cela va changer surtout que cette loi s’inscrit dans un continuum de mesures qui depuis 6 ans visent à améliorer le système de santé. Je pense que cela va mieux décloisonner le système et faire travailler encore plus les acteurs ensemble. Probablement, cela va aider l’hôpital à mieux fonctionner.
La place et le rôle des CPTS, acteur incontournable de la coordination des professionnels de santé sur un territoire, n’est pas un axe développé dans cette loi, cela porte-t-il à conséquence selon vous ?
Le rôle et la place des CPTS a été au cœur des débats parlementaires. Il est pour moi fondamental que les soins de premier recours soient organisés, l’organisation libérale de la médecine de ville a besoin de cadrage et d’une représentation auprès des institutions, des élus et des citoyens. Aujourd’hui, le territoire national est couvert à 85% par des CPTS. On observe actuellement une grande hétérogénéité entre les CPTS en termes de taux d’adhésion et d’implication dans le territoire. Après de longs débats, le Parlement a choisi la voie du volontariat et de la confiance plutôt que la contrainte et l’adhésion obligatoire. L’avenir nous dira si c’était la bonne solution. Ce qui est clair pour moi, c’est que nous devons tous travailler à aider les CPTS à jouer pleinement leur rôle.
La loi prévoit l’ouverture du contrat d’Engagement de service public (CESP) pour tous les étudiants en médecine, odontologie, maïeutique et pharmacie, à l’issue de la première année du 1er cycle des études de santé. La possibilité est également accordée aux collectivités locales de verser des indemnités de logement et de déplacement aux étudiants dentistes de 3e cycle.
Y’a-t-il selon vous un risque de creuser davantage les inégalités, dues aux différences de moyens financiers allouables à ce type d’indemnités par les collectivités territoriales ? Faute d'obligation d'installation, faut-il imaginer un système de péréquation entre collectivités pour compenser ces éventuelles inégalités ?
L’ouverture du CESP dès la deuxième année me paraît une bonne chose et va dans le sens de l’amélioration de l’attractivité des métiers de santé dont il faut impérativement s’occuper. Déjà des collectivités territoriales accordent des aides aux étudiants, ce n’est pas nouveau. Il faut noter que les collectivités territoriales sont : la Région, le Département et le bloc communal, des partages dans l’attribution des aides peuvent être envisagés plutôt qu’un mécanisme de péréquation entre collectivités qui serait un dispositif lourd et peut être conflictuel. Les instances de démocratie sanitaire (CTS, CRSA) devraient être des instances de réflexion et d’implication des élus territoriaux.
Les médecins, sage-femmes et dentistes souhaitant cesser définitivement leur activité seront désormais tenus de respecter un préavis de six mois, afin qu’une solution de remplacement puisse être anticipée. Pensez-vous qu’il en aille de la responsabilité des pouvoirs publics d’anticiper ces remplacements ?
Oui, je le crois. J’ai vécu en tant qu’adjoint au maire en charge de la santé sur Albi, le désarroi des personnes qui se trouvaient du jour au lendemain sans médecin traitant, surtout des personnes d’un certain âge pour qui la santé est une préoccupation importante. Aujourd’hui et plus encore demain, la baisse des professionnels et l’augmentation des besoins impliquent une organisation la plus rigoureuse possible et l’anticipation la plus précoce.
La loi prévoit le renforcement des missions du conseil territorial de santé (CTS) et la définition du territoire de santé comme échelon de référence de l’organisation locale de la politique de santé. Quid de la place des collectivités locales et des politiques publiques locales dans ce fonctionnement ?
Je pense que c’est une bonne décision qui vise à mieux responsabiliser les acteurs locaux, à partager les informations, à coordonner les initiatives et à exprimer les besoins des territoires. Reste à définir les modalités de fonctionnement de ces CTS élargis (composition, représentativité) et les moyens qui lui seront donnés. Aujourd’hui, les CTS sont des instances de démocratie sanitaires peu influentes (peu de réunions, quid des avis...).
En tant que Président d’ESPT, et je le mets en pratique à Albi dans le cadre de mon mandat d’adjoint à la santé, il me paraît important que les élus locaux s’impliquent dans les instances de démocratie sanitaire. Les politiques des collectivités locales de santé sont souvent matérialisées dans les volets attractivité des professions de santé des contrats locaux de santé. Mais on se rend compte que la multiplicité des acteurs locaux (ARS, CPAM, CDOM, CPTS, autres collectivités...) rend opaque la situation et paralyse des actions qui ensemble pourraient être profitables pour la population.
Pensez-vous que les acteurs locaux soient assez outillés pour participer à la mise en place de solutions concrètes permettant d'améliorer l’accès aux soins et de lutter contre les inégalités ?
Les acteurs locaux sont des acteurs parmi d’autres qui participent à la mise en place de solutions concrètes pour améliorer l’accès aux soins et lutter contre les inégalités. Il reste beaucoup à faire, en particulier en termes de connaissance des réalités. ESPT plaide pour une amélioration de l’observation locale en santé, insuffisamment développée aujourd’hui. La mise en place ne serait-ce que d’une cartographie actualisée et précise de l’offre de soins sur un territoire et le suivi de sa dynamique seraient d’une grande utilité.
La connaissance de qui fait quoi sur le territoire est aussi importante et j’espère que les nouveaux CTS pourront y répondre.
Enfin, il ne faut pas oublier que l’offre de soins ne représente que 15 % des déterminants de santé et les élus en charge de la santé ne peuvent pas ignorer les autres déterminants sur lesquels ils peuvent agir.
De manière générale, pensez-vous que cette loi propose des mesures suffisantes et cohérentes pour améliorer l’accès aux soins dans les territoires ?
Cette loi va certainement améliorer l’accès aux soins dans les territoires mais elle ne va pas à elle seule résoudre les tensions qui pèsent sur le système de santé français et qui vont encore perdurer.
Depuis plusieurs années au travers des lois, des PLFSS et des accords conventionnels notre système de santé évolue pour faire face à ses difficultés, nous avons l’impression d’un rafistolage plutôt qu’une réforme porteuse d’une vision globale. Nous sommes en attente d’une grande loi santé qui porterait au travers des mesures structurelles une réforme de notre système de santé (dont il ne faut pas oublier que malgré son coût il est un des plus inégalitaires en Europe). Force est de constater qu’il n’y a pas de consensus sociétal sur une vision future du système de santé.
Force est de constater qu’il n’y a pas de consensus sociétal sur une vision future du système de santé.
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