Engagement des patients partenaires dans la formation des étudiants en médecine
LE DOSSIER DU MOIS
MARS/AVRIL 2024 :
Rapport « Participation des patients à la formation initiale des médecins »
INTERVIEW
Engagement des patients partenaires dans la formation des étudiants en médecine
LE POINT DE VUE DE :
Emmanuel Allory
MAITRE DE CONFÉRENCES DES UNIVERSITÉS DE MÉDECINE GÉNÉRALE
DIRECTEUR DU DPPER
MÉDECIN GÉNÉRALISTE
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Emmanuel Allory, je suis maitre de conférences des universités en médecine générale et directeur du Département du Partenariat Patient dans l’Enseignement et la Recherche (DPPER) à la Faculté de médecine de Rennes.
Ce récent département a été créé en juillet 2023, après validation par le conseil d’administration de la faculté de médecine. Ses missions sont de former et accompagner les enseignants universitaires, les patients partenaires et les étudiants à la mise en œuvre du partenariat patient dans l’enseignement et la recherche. Il comprend 4 pôles : un comité de pilotage, une cellule d’accompagnement au développement du partenariat, une cellule d’échanges de pratiques et une cellule de recherche. Un coordinateur pédagogique à mi-temps est en cours de recrutement pour animer ce département.
Je travaille également en tant que médecin généraliste à raison de deux jours et demi par semaine dans une maison de santé pluriprofessionnelle universitaire en quartier prioritaire des politiques de la ville à Villejean (Rennes).
Au cours de mon activité d’enseignant-chercheur, j’ai particulièrement été amené à travailler sur la question de la place des patients partenaires dans l’enseignement, mais également à me questionner sur la place des patients partenaires au sein des soins primaires : quelle est la place des patients au sein des Maisons de Santé Pluriprofessionnelles (MSP) ?, existe-t-il un intérêt à l’existence d’un comité d’usager ?, comment prendre en compte les attentes et besoins des patients dans les projets de santé des équipes de soins primaires ?
Pouvez-vous nous rappeler brièvement le contexte actuel dans lequel agissent les patients intégrés au cursus de formation initiale des médecins ?
L’engagement des patients partenaires dans la formation des étudiants en médecine est récent. Plusieurs actions à différents niveaux de notre société viennent soutenir cet engagement. Tout d’abord sur le plan politique, le plan Ma santé 2022, publié en 2018, pose le souhait d’associer pleinement le patient à la formation des professionnels de santé. Sur un plan stratégique, en 2020, la Haute Autorité de Santé recommande l’engagement des usagers à tous les niveaux du système de santé dont les cursus de formation initiale et continue des professionnels de santé. Dans cette même période, on répertorie plusieurs travaux scientifiques issus de différents équipes françaises et internationales (notamment nord-américaines et anglo-saxonnes), qui démontrent les apports pédagogiques de la participation des patients dans les enseignements auprès des étudiants en santé. Et enfin, en novembre 2023, un rapport du Ministère de la santé et de la prévention, en collaboration avec le Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche établit 23 recommandations pour la participation des patients à la formation des médecins.
L’ensemble de ces éléments sont des incitations à sensibiliser et encourager les enseignants-chercheurs impliqués dans la formation des étudiants à mobiliser les patients partenaires. Nous sommes au début de cette transformation des organisations de formation. La formation des médecins est ainsi un terrain d’exploration, avant d’envisager une potentielle extension à l’ensemble des formations en santé.
Selon vous, quels freins au développement du partenariat patient faut-il travailler prioritairement ?
Avec d’autres collègues enseignants-chercheurs, nous avions pu travailler en amont du développement du DPPER à cette question des freins parmi la communauté enseignante-chercheuse. Nous avions valorisé les résultats notamment par l’écriture d’un article publié dans Santé publique. Lorsque l’on a interrogé les enseignants-chercheurs, la communauté était globalement favorable à l’arrivée des patients dans la formation en médecine. Les freins relevés étaient de plusieurs ordres :
- intellectuel avec la méconnaissance du partenariat patient pour plus de la moitié des répondants
- organisationnel avec la nécessité d’un accompagnement méthodique dans la mise en œuvre de cette innovation pédagogique, notamment pour optimiser leur temps
- Juridique avec une absence de cadre législatif et administratif permettant de sécuriser la place des patients partenaires dans leurs interventions d’enseignement.
Pour accompagner l’intégration des patients en tant que co-enseignants, il est nécessaire de mettre en place une stratégie d’accompagnement des enseignants et de travailler sur ce changement de paradigme. Pour cela, il faut agir à trois niveaux :
- Le soi, c’est-à-dire les enseignants-chercheurs, en travaillant autour des valeurs de coopération et d’échange avec les patients
- La situation de changement, en facilitant la pratique du partenariat, par une feuille de route réaliste des institutions, des temps dédiés à cette mise en œuvre, des moyens de coordination
- Le soutien aux acteurs, en créant des réseaux de soutien et de formation à destination des enseignants-chercheurs, en mettant à disposition les ressources pédagogiques adaptées, en facilitant l’échange de pratique
Le rapport propose 23 recommandations facilitant le déploiement de la participation des patients dans la formation initiale des médecins. Y’a-t-il des manques ? Quelles initiatives soutenir à court ou long terme ?
Tout d’abord, la publication de ce rapport est quelque chose de très positif. Il est en effet aidant d’avoir ce type de recommandations pour soutenir la transformation des pratiques. Cela permet d’une part de s’apercevoir que les ministères prennent en compte les évolutions dans la formation des étudiants en médecine, et d’autre part, qu’ils prennent en compte l’ensemble des publications scientifiques démontrant que la participation des patients améliore la formation des étudiants en santé.
L’autre élément très positif repose sur la manière dont les ministères se saisissent de ce sujet. Il s’agit d’une stratégie adaptée pour une intégration homogène des patients partenaires dans la formation des étudiants en médecine sur l’ensemble du territoire.
Le rapport et les éléments qui viennent à son soutien, sont toutefois basés sur une vision à court-terme. Ainsi, le Fonds national pour la démocratie en santé (FNDS) a formulé un appel à projets sur un budget d’un an à la suite de la parution du rapport. Cet appel à projets va permettre de soutenir la première recommandation du rapport encourageant la conception, la réalisation et la publication d’études participative pour évaluer les effets des programmes d’enseignement. Toutefois, des financements à court terme ne permettront pas de mener en profondeur des évaluations, ni de transformer les pratiques ou encore d’acculturer les enseignants-chercheurs. La transformation des organisations souhaitée doit s’accompagner d’un soutien financier pérenne des facultés de médecine.
Un autre élément positif des recommandations concerne la volonté d’inscription législative dans les décrets relatifs aux organisations des études en santé, de la place du partenariat patient. Il s’agit notamment des recommandations 6 et 7.
Et puis il y a une proposition encore plus forte qui va jusqu’à baser l’évaluation des universités sur la présence de patients partenaires dans les études de médecine. C’est un critère très important.
Les formes d’engagement des usagers sont multiples, que pensez-vous de l’évolution des démarches de démocratie en santé de manière globale en France ? Y’a-t-il des terrains encore inexplorés ?
La démarche d’engagement des patients dans la formation initiale des médecins interroge plus globalement la démarche d’engagement des patients dans le système de santé et donc la démocratie en santé.
Dans notre organisation française de démocratie, les instances d’usagers comme les CRSA, les conseils territoriaux, les conseils des usagers, etc. ne considèrent pas de rémunération pour la participation des citoyens. Il existe une sorte de confrontation de réalité entre ces différentes formes d’engagement des usagers. Ces nouvelles formes d’engagement viennent interroger l’ensemble des pratiques d’engagement et rendent nécessaire une remise à plat de la façon dont on pense l’engagement des usagers dans le système de santé.
Dans le cadre de l’enseignement, le modèle de Montréal conceptualise la question du partenariat entre enseignant chercheur et patient. C’est de ce modèle qu’est née l’inspiration du développement de notre DPPER. Plus globalement, l’idée de ce modèle est d’appliquer le concept du partenariat patient à l’enseignement mais aussi aux soins et à la recherche. L’objectif est de faire partenariat avec les patients, à tous les niveaux du système de santé. Ce concept doit être saisi plus largement au sein de notre système de santé.
Ensuite concernant d’éventuels terrains inexplorés, à mon sens il est nécessaire de parler de l’un engagement trop peu développée des patients en soins primaires. Il me semble que les patients sont encore trop peu présents dans les équipes de soins primaires comme les Maisons de Santé Pluriprofessionnelles, les centres de santé, les Communautés Professionnelles Territoriales de Santé, etc. Il n’existe aucun texte législatif et peu d’incitations à ce sujet. C’est un réel enjeu de développer leurs places de façon plus importante dans ces structures de ville. Un travail que nous avons mené dans les pays de la Loire en 2019 montrait que des démarches s’initiaient, notamment dans les équipes de soins primaires les plus anciennes et associées territorialement à un contrat local de santé. Mais des freins persistaient encore notamment autour d’un meilleur accompagnement des équipes dans l’engagement des patients dans leur structure.
Comment accompagner positivement le déploiement effectif du partenariat patient dans la formation selon vous ? Quels outils et leviers prioriser ?
Au niveau national, nous n’en sommes qu’à un stade expérimental et asymétrique concernant l’engagement des patients dans les différentes UFR. Il est probable que toutes les UFR de médecine ne s’approprient pas la mise en œuvre du partenariat patient de la même façon.
A moyen terme, il faudra réussir à mobiliser dans toutes les UFR une structure qui soutiendra le développement de la pratique du partenariat patient dans l’enseignement. Il pourrait aussi être aidant de réfléchir un cursus de formation type dans les études en santé – dans lequel interviendrait des patients partenaires, avec une réelle plus-value pédagogique. Je parle du socle commun aux études médicales, de la première à la sixième année. Il s’agirait d’identifier les compétences à développer chez les étudiants, dont la participation de patients partenaires favorise leur développement. La littérature scientifique en identifie clairement trois : la compétence relation-communication, la compétence professionnalisme c’est-à-dire la capacité à se positionner comme acteur de santé et la compétence approche centrée patient, c’est-à-dire la capacité à tenir compte d’un ensemble d’éléments du contexte de vie et des souhaits des patients dans la réflexion médicale.
L’objectif étant in fine, de fixer ce curriculum de formation en partenariat avec les patients sur le plan législatif, ce qui permettrait par la suite d’être décliné dans les cursus de formation des étudiants en médecine.
L’enjeu fondamental dans la formation des étudiants en médecine étant que chaque étudiant en médecine puisse être exposé au cours de son cursus à des patients partenaires dans l’enseignement et la recherche.
Le rapport souligne un développement très hétérogène sur le territoire et qui reste assez limité. Selon vous, quelles recommandations visent à corriger ce biais ?
Il est important de rappeler que le rapport a été publié en ciblant les UFR de médecine. Pour le moment il n’y a pas de visée de diffusion de l’engagement dans les autres formations en santé.
Je pense que, pour développer le modèle de partenariat patient partout sur le territoire français, il faut mettre en place une stratégie dès la formation initiale des étudiants. Si les étudiants sont acculturés dès leurs études à considérer le patient comme acteur de l’enseignement et à observer celui-ci comme un véritable partenaire dans l’enseignement, alors cinq ou dix ans plus tard, les professionnels de santé seront habitués sur le terrain des soins primaires, à impliquer les patients dans leurs actions, dans leur structuration d’équipes de soins primaires.
Donc effectivement, ces recommandations sont centrées sur la formation. Mais on voit bien qu’elles ont un fort potentiel de transformation du système de santé à moyen terme, lorsque les étudiants en médecine arriveront sur le marché du travail.
Pensez-vous que ces enjeux de participation des patients soient assez documentés aujourd’hui en France ?
Définitivement non. Mais la première recommandation issue du rapport consiste à inciter la conception et la publication d’études participatives pour évaluer les effets de ces programmes d’enseignement. C’est très positif. J’étais très content de voir ce premier point qui nécessite véritablement qu’on articule recherche et innovation en pédagogie pour évaluer les effets de ces interventions. L’objectif est de démontrer dans notre contexte français ce qui est déjà démontré à l’étranger, notamment en termes d’amélioration des compétences autour de trois compétences que sont la relation communication, le professionnalisme et l’approche centrée patient. Démontrer que tout ce que nous apporte la littérature scientifique internationale est aussi valable dans notre contexte éducatif, dans notre système de santé et de formation.
Un mot pour conclure ?
Peut-être juste un élément à clarifier, concernant la terminologie que l’on utilise. Dit-on patient-enseignant, patient-formateur, patient-partenaire, patient-expert, etc. ? Au sein du DPPER, nous avons choisi de retenir le terme de « Patient partenaire de l’enseignement ». On considère que la personne va travailler en partenariat avec le professionnel de santé, et être impliqué dans la formation et dans l’enseignement.
L’enjeu fondamental dans la formation des étudiants en médecine étant que chaque étudiant en médecine puisse être exposé au cours de son cursus à des patients partenaires dans l’enseignement et la recherche.
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