« La santé est un choix politique ! »
LE DOSSIER DU MOIS
MAI/JUIN 2024 :
La semaine européenne de la santé publique portée par l'European Public Health Association (EUPHA)
INTERVIEW
« La santé est un choix politique ! »
LE POINT DE VUE DE :
Charlotte Marchandise
DIRECTRICE GÉNÉRALE DE EUPHA : EUROPEAN PUBLIC HEALTH ASSOCIATION
La semaine européenne de la santé publique portée par l’European Public Health Association (EUPHA) sera dédiée à la thématique « La santé est un choix politique ! ». Pourquoi avoir choisi ce thème pour l’édition 2024 ?
En prenant la direction de l’EUPHA en 2023, je souhaitais ouvrir une période de questionnement pour l’association et pour la santé publique européenne. La stratégie actuelle de l’association s’achève, et nous écrivons avec nos membres et nos sections la nouvelle vision pour les 5 ans à venir. Pour cette nouvelle étape, nous voulons être plus proche de nos membres, et les soutenir davantage. Nous voulons aussi créer plus de liens entre les associations membres, nos sections thématiques et nos actions à Bruxelles et Copenhague avec l’OMS Europe.
La semaine européenne de Santé Publique est une première opportunité pour focaliser toutes les associations nationales sur un seule sujet et un plaidoyer collectif. La semaine est un événement qui doit amplifier nos voix, et nous interroger sur la façon de nous se saisir des opportunités politiques collectivement.
Les élections européennes offrent justement une formidable occasion de mettre la santé publique à l'ordre du jour. L'EUPHA, faisant partie de la coalition EU4Health, a diffusé un manifeste proposant dix actions pour les élections, visant à sécuriser les enjeux de santé dans l'agenda politique. Nous espérons que cette semaine servira à inciter les européennes et européens à voter pour la santé !
En outre, les thèmes quotidiens de la semaine seront alignés sur le thème central de la conférence européenne de santé publique 2024 qui aura lieu à Lisbonne du 13 au 15 novembre, intitulée « Naviguer sur les vagues de la santé publique européenne : explorer une mer d’innovation ». Cette double opportunité, liée aux élections européennes et à la conférence, invite toutes les associations à se concentrer sur les mêmes sujets : comment saisir les opportunités et comment la santé publique peut s'emparer des questions d'innovation. Cela représente également une manière de faire des choix politiques.
La première journée de la semaine européenne de la santé publique sera dédiée à « ouvrir le dialogue » sur la thématique principale. Un webinaire de lancement ouvrira la voie aux événements à venir durant la semaine et lancera un appel à l’action. À midi, une formation intensive à la gestion et à l'utilisation des réseaux sociaux sera proposée à tous nos partenaires. Ce moment d'échange avec un professionnel du plaidoyer et des outils numériques permettra de discuter des stratégies pour amplifier les voix de la société civile.
L’après-midi, un événement hybride rassemblera des intervenants de haut niveau autour du sujet : « La santé publique est-elle toujours pertinente? » Cette questions provocative vise à creuse les raisons qui font que notre visibilité est faible, alors que la santé est l’un des sujets prioritaires pour les citoyennes et citoyens. Pourquoi la période Covid ne nous a pas mis en haut de l’affiche ? Le panel réunira des intervenants de haut-niveau comme Hans Kluge, Agnès Buzyn, Sara Cerdas, etc. Ils raconteront leurs expériences et parleront des priorités à mettre à l’agenda politique européen.
La seconde journée sera dédiée à la santé mentale. On entend parler partout de la santé mentale des jeunes par exemple, mais on n’investit pas dans la recherche, on désinvestit même. 45% de la population des jeunes se sent mal, alors comment porter ces questions au niveau social ? La réponse est politique.
Le troisième jour est destiné à faire un focus sur l’approche glocale et à se pencher sur les raisons fondamentales d’un parti pris de l’Europe sur le sujet. On réfléchira à la manière dont les choix politiques internationaux arrivent jusqu’à l’action de terrain. Comment peut-on amplifier la voix des villes ? Quelles stratégies peut-on mettre en place pour ajouter de la santé publique dans les autres agendas comme l’agenda urbain par exemple, etc. On sait que 70% des européen·nes veulent plus d’implication européenne en matière de santé. Donc ça touche toutes les politiques, et les maires sont des politiques qui ont une voix de plus en plus importante.
Le quatrième jour de la semaine européenne sera dédié à la santé tout au long de la vie, avec comme point de focus, la décomposition des approches en silos. Cette journée sera l’occasion de parler de l’approche de la santé tout au long de la vie, et non pas par maladie ou par tranche d’âge. On espère aussi que c'est une journée qui abordera les questions de données en santé. Comment la société civile et les politiques peuvent reprendre la main sur ces données ?
La dernière journée, EUPHA laissera la main aux jeunes. Le réseau EUPHAnxt des jeunes professionnels organise avec d’autres associations le débat sur la question de la santé publique d’aujourd’hui et de demain, et la place de la nouvelle génération. L’objectif de cette journée est avant tout que les voix des jeunes générations s’élèvent et nous disent ce qu’ils souhaitent construire pour la suite. On souhaite absolument généraliser une sorte de parité générationnelle dans les discussions, avoir une approche moins utilitariste et mettre la voix des futures générations au cœur des décisions.
Quels sont les principaux enjeux des élections européennes à venir en matière de santé ?
Les élections sont une véritable opportunité de mettre la santé en haut de l’agenda. C’est un vrai challenge ; on ne sait pas de quoi sera fait le prochain parlement, on ne sait pas qui sera le ou la prochain·e commissaire à la santé, ni comment seront attribuer les fonds dédiés, etc.
La question financière est un réel enjeu. Aujourd’hui beaucoup d’association sont extrêmement en danger, c’est un vrai sujet. Les représentants des pays qui décident de l’attribution des fonds ne sont pas spécialistes de ces questions, voire, ne savent pas vraiment de quoi on parle. On remarque que ce lien-là n’est pas fait ; pourquoi a-t-on besoin de santé publique en Europe ? On ne le dit pas, ils ne le savent pas.
Un autre enjeu est d’intégrer la santé dans toutes les politiques évidemment. On en parle depuis un certain temps mais comment on le met vraiment en œuvre, et comment on outille nos champions de la santé au Parlement pour qu’ils diffusent les messages ? Actuellement le fonctionnement est encore beaucoup trop en silo, alors qu’on sait qu’on a besoin des autres.
La thématique de la semaine européenne de santé publique « La santé, c’est un choix politique » va nous permettre de poser le décor, de pousser de vraies décisions, de relancer la campagne électorale chez tous nos membres et dans toutes nos sections.
Vous abordez la question des priorités en santé publique et leur mise à l’agenda, mais comment faire pour réellement prioriser certains sujets à cette échelle ?
Sur les dix priorités de la société civile qui sont énoncées dans le manifeste de EU4Health, chacun peut porter son propre sentiment, sa propre voix. L’EUPHA mène une enquête auprès de nos associations membres pour comprendre et repérer les signaux faibles et les signaux forts.
L'idée, c'est de construire et se dire que dans ces dix priorités, nous, on s'en donne trois sur le prochain mandat. Puis de travailler à valoriser et amplifier cette parole.
Certains sujets sont essentiels et nécessite un plaidoyer solide, je pense particulièrement à tout ce qui relève de l’économie de la santé et au message « 1€ investi dans la prévention, c’est 14€ économisés en soins ». Le fait d’avoir quelques messages qu’on va marteler, c’est prioritaire.
L’autre sujet fondamental, c’est la structuration de la santé en Europe. On a besoin d’avoir une Europe qui finance la santé, avec une gouvernance de décideurs experts. Si on arrive à aboutir à une bonne gouvernance, ça voudra dire quelque part que plusieurs priorités sont déjà sur le tapis, et que la société civile sera impliquée par exemple. Et on aura déjà gagné beaucoup de choses.
Il faut qu’on mette un point d’honneur à ne pas se perdre dans des sujets thématiques, car chacun prêche pour sa pathologie, sa problématique, et la décision politique est souvent prise par le biais de l’expérience personne des élus, du service public. Pourquoi il y a un plan cancer sur l'Union Européenne ? Ça vient d'une expérience personnelle. J'ai du mal à comprendre que l'on fasse un plan cancer et pas un plan relatif aux Maladies Non-Transmissibles par exemple.
Il est important que l’on puisse réfléchir et débattre sur la façon de mettre en place un cadre de travail plus large, et qui nous permet d’aller dans la santé, dans toutes les politiques. Si on aboutit à une bonne gouvernance et une approche thématique plus transversale, ce sera déjà pas mal.
Le dernier point pour moi, relève de l’attention portée aux « sujets compliqués ». Il faut qu’on débatte plus, qu’on fasse de la cartographie de controverses et qu’on discute de comment se fait la science. Et la science ne se construit pas sur du consensus. Le consensus s’inscrit parce qu’il y a du débat en amont.
Sur des sujets comme les déterminants commerciaux de la santé, on n’est pas tous d’accord sur la façon de faire. Et bien allons-y, parlons de ce qui fâche parce que c’est justement ça qui permettra de favoriser la compréhension d’une culture scientifique.
C'est aussi pour ça que, pendant la semaine de la santé publique, on essaiera vraiment d’engager les gens sur des débats. Alors, oui, ça nécessite de la force de modération parce que certains sujets sont prisés des trolls. Mais c’est à nous d’être plus présents dans ces débats, de ne pas laisser la place aux discours politisés d’extrême-droit par exemple.
La question de la gouvernance est très intéressante, d’ailleurs le manifeste de EU4Health propose de mettre en place une union de la santé européenne. Qu'est-ce que ça veut dire ? Comment ça se structure ?
L’une des questions très sensible, c’est la question des ressources humaines en santé, et le fait qu'on se pique des médecins d'un pays à l'autre, qu'on laisse les pays les plus fragiles former les infirmier·ères et derrière, que les pays les plus favorisés les récupèrent.
Un autre sujet essentiel est ma question des données de santé, de leur utilisation secondaire pour la recherche, de la place des patient·e·s a été un gros sujet de cette fin de mandat, et nous aurons un événement pour en parler lors de la conférence EPH à Lisbonne en novembre prochain.
Et le dernier point, c’est la préparation pour la prochaine crise. L’union des pays européens a fait ses preuves dans l’accès à un vaccin par exemple. La question maintenant, c’est de savoir comment on peut s’améliorer avant la prochaine crise, puisque la question n’est pas de savoir s’il y en aura une, mais quand. Pendant la pandémie de Covid-19, l’Europe a fait des choix contre toutes les valeurs et les règles européennes, la politique d’austérité notamment. La crise sanitaire a tout fait voler en éclats. Et la ministre de la santé estonienne le dit : « si nous voulions stopper du jour au lendemain les inégalités sociales de santé, nous pourrions. Durant la crise, on a voulu, et on a pu. ». Et c’est ça je pense, la clé.
Sur ces questions-là, il est clair qu’il existe un enjeu à fonder une union de la santé européenne.
La structure n’est pas encore concrète ; qu'est-ce qu'on veut en faire ? Qu'est-ce que ça veut dire ? Qu'est-ce qu'on y mène ? Quelle place peuvent y avoir la société civile, les citoyen·nes ?
Après, une fois qu'on dit ça, c'est aussi savoir comment on passe du discours à la réalité. Moi je suis convaincue de l’enjeu financier. Considérer, comme nous, depuis très longtemps, que la santé est un investissement et pas un coût, ça reste un gros sujet d’efficacité. Au-delà de ça, s’il n’y a pas d’argent dédié à l’opérationnel, on reste dans le blabla.
Selon vous, quelle place peut avoir la société civile dans le processus décisionnel européen en matière de santé ?
Quelle place elle prend, mais surtout quelle place on lui donne. Il y a des membres du Parlement Européen qui ont été très forts là-dessus. Et dans le dernier mandat, on repère déjà un changement de la place des associations, et notamment des associations de patients sur la question de la loi sur les données de santé par exemple. Les patients ont été centraux et ils ont agi sur les décisions. Quand les associations sont présentes et procèdent comme l’industrie du lobbying et bien ça marche.
L’important est de pouvoir compter sur des alliés au Parlement. La question pour la suite, c'est de combien d'alliés nous disposerons après les élections. Et c’est aussi de comprendre comment on peut leur transmettre les bonnes informations au bon moment pour renforcer leurs prises de décision ou leurs plaidoyers. Cette question est primordiale d’ailleurs. C’est de pouvoir réagir rapidement face à un politique qui a besoin d’avoir des données scientifiques sur un sujet et d’être capable de le mettre en lien avec la personne adéquate dans la journée. On doit pouvoir être présent sur des questions de l’ordre de la santé, mais qui touchent aussi à d’autres thématiques comme l’agriculture, l’environnement, etc. pour informer et accompagner les décideurs.
Alors évidemment, selon les sujets, on est face à des lobbies parfois très organisés, avec des moyens d’une autre envergure. Et c’est là que je reprends les mots que j’ai prononcé plus haut ; choisir des messages ensemble et les pousser ensemble nous permettra d’être plus forts, et que notre voix soit entendue. Et ça n'empêche pas que chacun existera avec sa façon d'être. Mais si on arrive à embarquer nos membres et qu’on interpelle les candidats sur des questions de santé, ça ne mange pas de pain. L’objectif à atteindre, c’est de pouvoir travailler plus avec les associations, les partenaires de l’Europe et de se répartir mieux les choses, de se compléter et de ne pas être en compétition.
Les sujets de santé sont pour la plupart démocratiques et bénéfiques pour les populations. On doit les rendre attrayants, visibles. Et c'est le gros avantage de la santé, c'est qu'on peut parler climat, on peut parler résilience, on peut parler égalité sur des terrains qui sont moins dans des oppositions de principe et d'existence politique.
On a besoin d’avoir une Europe qui finance la santé, avec une gouvernance de décideurs experts.
POUR ALLER PLUS LOIN
European Public Health Week - 13-17 May 2024 - Health is a political choice!
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