MPox : la recherche au service de l'intervention en temps de crise
LE DOSSIER DU MOIS
SEPTEMBRE/OCTOBRE 2024 :
Avis n° 2024.0058/AC/SESPEV du 29 août 2024 du collège de la Haute Autorité de santé relatif à la stratégie de vaccination contre le mpox
INTERVIEW
MPox : la recherche au service de l'intervention en temps de crise
LE POINT DE VUE DE :
Armelle Pasquet
INFECTIOLOGUE - RESPONSABLE DU PÔLE DISPOSITIF DE CRISE, ANRS | MALADIES INFECTIEUSES ÉMERGENTES, INSERM
Pour débuter, peut-on rappeler dans quel contexte a évolué la crise actuelle de mpox ?
Il existe deux clades[1] du monkeypox. L’un est classiquement décrit en Afrique centrale, il s’agit du clade 1. Ce premier clade est associé à des taux de mortalité qui pouvaient atteindre 10% chez les enfants.
Le clade 2 est plutôt décrit en Afrique de l’Ouest et est associé à des formes moins sévères.
Historiquement, il existe quelques incursions de mpox avant 2022, en dehors de l’Afrique, notamment aux Etats-Unis lors de l’importation de rongeurs en 2003. Les premières épidémies de mpox étaient plutôt décrites comme circonscrites et familiales. Toutefois en 2022, il s’agit de la première émergence d’une épidémie multi-pays dû au clade 2 et au sous-clade 2b et qui, pour la première fois, est décrite comme associée à une transmission sexuelle, notamment chez des hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes. L’épidémie a été contenue et l’alerte de l’OMS a été levée en 2023.
On observe une double épidémie actuellement en RDC avec une augmentation sans précédent du nombre de cas d’infection du clade Ia et la mise en évidence d’un nouveau sous-variant, le sous-clade 1b. Ce variant a la particularité d’avoir une mutation qui augmente son infectabilité chez l’homme et est décrit pour la première fois comme associé à une transmission par contact ou par voie sexuelle (Clade I–Associated Mpox Cases Associated with Sexual Contact, the Democratic Republic of the Congo - Volume 30, Number 1—January 2024 - Emerging Infectious Diseases journal - CDC) . L’épidémie associée au clade Ib en RDC touche principalement les adultes et se propage rapidement, soutenue en grande partie, par la transmission liée aux contacts sexuels. Donc la particularité de cette épidémie, c’est qu’elle double : elle concerne un clade associé a un nouveau mode de transmission par voie sexuelle et le clade Ia qui est décrit avec à une mortalité plus importante.
Comment qualifieriez-vous la crise actuelle que constitue « l’urgence sanitaire de portée internationale » ? Quelles sont les caractéristiques de cette crise ?
Dans le cadre de cette crise, l’ANRS MIE a organisé deux rencontres avec des chercheurs et des experts : une sur la vaccination et une avec notre réseau international. Dans ce cadre-là, Le Pr Steve Ahuka, chercheur de l’Institut national de recherche biomédicale (INRB) décrit la situation en République Démocratique du Congo (RDC) en ses termes: « il s’agit d’une urgence de portée continentale et internationale. » Je trouve que ça résume bien les enjeux, d’aborder la question d’une urgence continentale, en tout cas dans les pays de l’Union africaine
Je suis responsable du Pôle veille et réponses aux épidémie au sein du département Stratégie et Partenariats de l’ANRS MIE. Dans ce cadre-là, nous sommes amenés à ouvrir des cellules de crise lorsque l’on pense qu’une émergence doit être suivie particulièrement ou que cela doit mener à des financements de la recherche. Ça a donc été le cas en 2022 lors de l’épidémie multi-pays du sous-clade 2b. Puis, nous avons ouvert une nouvelle cellule grâce à l’alerte de nos collègues de RDC, dès fin 2023.
On observe sur une année, une augmentation du nombre de cas de mpox de plus de 80% par rapport aux données de 2022 sur le clade 1 et au 3 septembre2024 on constate une augmentation de plus de 140 % en 2024 par rapport à la même période en 2023. La situation était préoccupante, et on nous rapportait la description et l’émergence d’un nouveau sous-clade, le sous-clade Ib des fin 2023 . D’ailleurs, le Centre africain de contrôle et de prévention des maladies (Africa CDC) a organisé une réunion extraordinaire dès avril 2024 pour exprimer sa préoccupation quant aux pays voisins. A suivi la déclaration d’urgence sanitaire de portée internationale lorsque l’épidémie a quitté la RDC pour s’installer dans 5 pays frontaliers ; Le Burundi, le Kenya, le Rwanda, Gabon et l’Ouganda.
Quels liens peut-on faire entre les deux crises ? Qu’avons-nous appris de la précédente « crise aiguë » de 2022 ?
La première cellule de crise ouverte par l’ANRS MIE en 2022 a permis de réunir des experts afin de tracer des priorités de recherche. Cela a mené aux financements de deux études top down et à l’ouverture d’un appel à projets flash qui a permis le financement de 10 études.
Toutes ces études ont été mises en route entre fin 2022 et 2023 et certains résultats nous ont permis de redéfinir de nouvelles priorités de recherche pour la crise de 2024. Des résultats de recherche, notamment sur la vaccination, ont également été interrogés par la Haute Autorité de Santé (HAS) pour appuyer les recommandations d’une troisième dose.
L’étude DOXYVAC (doi: 10.1016/j.lanepe.2024.101020. eCollection 2024 Oct) par exemple, montre deux résultats intéressants corroborés par une autre étude financée dans le cadre de l’appel à projets. L’étude s’intéresse à l’avant-après dans le cadre de la mise en route des recommandations vaccinales mpox, chez des personnes suivies dans la cohorte ANRS-Prévenir[2]. L’étude montre que le nombre d’infections mpox est importante dans cette population, et que l’adhésion vaccinale est excellente (86 %). Cette étude montre aussi une diminution des cas d’infection de mpox de 99% après l’introduction de la vaccination dans cette population. Cette diminution est engrangée par la vaccination mais aussi par une modification des comportements, notamment une diminution du nombre de personnes qui avaient plus de dix partenaires par mois.
L’étude MPX-SPREAD en cours d’analyse, financée dans le cadre de l’appel à projets, et en partenariat avec Santé publique F rance; retrouve des résultats allant dans le même sens. La diminution de la courbe épidémique, en France, des infections mpox est aussi probablement liée à la vaccination mais aussi toute la mobilisation communautaire et à la modification des comportements.
Une autre étude, Monkeyvax, s’intéresse à la réponse immunologique du vaccin MVA-BN, en prophylaxie ou en post-exposition. Tous les auteurs de ces études ont présenté leurs résultats dans des réunions ANRS MIE sur la vaccination, et ont aussi été auditionnés par la HAS.
Concernant les recommandations de la HAS, elles abordent des éléments issus de ce type d’études, notamment les éléments suivants :
- Les personnes nées avant 1980 ayant reçues des vaccins de première ou deuxième génération antivarioliques ont tendance à mieux répondre à la vaccination, que les personnes qui n’ont jamais été immunisées par le vaccin.
- A partir de 3 à 6 mois, on observe une chute des anticorps après vaccination par 2 doses.
Malgré tout, en ce qui concerne l’infection par la MPXV qu’il n’y a pas à ce jour de corrélat de protection. C’est-à-dire qu’on ne sait pas dire à quel taux d’anticorps il faut être pour être protégé.
Quelle a été la place de l’ANRS dans la mise en place de la surveillance du Mpox, en France et à l’international ?
L’Agence finance des études de modélisation, des essais cliniques thérapeutique, des études en sciences humaines et sociales mais aussi des études qui s’intéressent à des modèles pré-cliniques pour tester l’efficacité des vaccins ou l’infectabilité, notamment chez le macaque, pour essayer de savoir si le mpox se retrouve dans les sécrétions séminales.
On parle de contacts sexuels et ce n’est pas pour rien puisqu’on pense qu’on se contamine par contacts prolongés avec les lésions qui sont localisées sur la peau et au niveau des organes génitaux. Désormais on se demande si le virus se transmet aussi par le liquide séminal, le lait maternel….
L’ANRS MIE coordonne aussi des études financées par l’Europe.
L’un des projets a été financé à hauteur de 12 millions d’euros par la Commission Européenne, MPX Response. Ce projet a permis le financement de 4 études, dont 2 coordonnées par l’Agence, et sur lesquelles il va être intéressant de s’appuyer pour cette épidémie. Certaines de ses études sont des essais cliniques randomisés qui vont permettre d’évaluer l’efficacité du traitement antiviral, le tecovirimat. La première étude se met en place à l’échelle européenne, EPOXY, et la seconde s’organise à l’international, et comprend la Suisse, le Brésil et l’Argentine, UNITY.
Les seules données dont on dispose sur l’efficacité du tecovirimat sur le clade 1b ne sont pas probantes. Elles sont issues de l’étude PALM 007
Le projet MPX Response a aussi permis le financement d’une cohorte observationnelle, MOSAIC, qui permet de décrire l’histoire de la maladie. La question qu’on peut se poser aujourd’hui, c’est de reproduire ce modèle de cohorte, à l’échelle de l’union africaine et de la RDC. Cela permettrait de décrire efficacement ce nouveau clade, de connaitre sa durée d’incubation, sa forme clinique, la gravité de l’atteinte des patients, etc.
Pour le mpox, il existe aussi un axe de recherche fondamental, car on ne connait pas le réservoir. Initialement le monkeypox est une maladie qui se transmet de l’animal à l’Homme, et une fois que l’Homme est infecté, la transmission se fait de l’Homme à l’Homme. Actuellement concernant le réservoir animal qui entraine la maladie chez l’Homme, on a que des suspicions. Donc cet aspect est un axe de recherche prioritaire qui avait été isolé en 2022. Dans le cadre de l’appel à projets, l’ANRS MIE avait pu financer une étude, PANAFPOX. Cette étude réalise des prélèvements en faune sauvage et aussi chez l’Homme. Et cette étude a permis de valider une sérologie chez l’Homme. Cela peut désormais permettre de dépister des cas asymptomatiques.
Lorsque la RDC nous a alerté d’une augmentation des cas, fin 2023, nous avons ouvert une nouvelle cellule de crise, nos partenaires de RDC, l’équipe de recherche de l’INRB notamment, ont mis en évidence via le génotypage dans la cadre du consortium AFROSCREEN, le nouveau sous-clade 1b (DOI: 10.1038/s41591-024-03130-3). Ils ont alors tares rapidement déposé une demande de financement pour l’extension de l’étude PANAFPOX pour s’intéresser aux chaines de transmission de ce nouveau sous-clade dans la région du Sud-Kivu, sur des populations qui n’avaient jamais été décrites comme particulièrement infectées par le mpox ; notamment les étudiantes et les travailleuses du sexe.
Au-delà de ces axes de recherche, un enjeu intervient maintenant sur la question du traitement car nous n’avons aucune certitude à ce sujet. Je l’ai abordé auparavant, le National Institutes of Health (NIH) a publié un communiqué de presse sur l’étude PALM 007 (ref) actuellement en cours en RDC. Cette étude évalue l’efficacité du tecovirimat sur l’épidémie de clade 1b. Les deux résultats à retenir sont d’une part, que lorsque les personnes sont prises en charge en hospitalisation avec des soins de support, on relève une mortalité diminuée de 50%. D’autre part, sur les premiers résultats obtenus, l’étude n’observe pas d’évolution significative sur les personnes ayant reçu du tecovirimat, ou non. A ce jour, on ne connait pas l’efficacité du tecovirimat sur le clade 1. Nous devons poursuivre les études menées pour tester cet antiviral, mais aussi celles testant d’autres stratégies antivirales ; épithérapie, autres molécules, etc.
L’autre nerf de la guerre, qui a d’ailleurs conduit à des recommandations du Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP) et de la HAS, c’est bien sur la vaccination. En 2022, on adapte un vaccin antivariolique au mpox en se disant qu’il s’agit de la même famille de virus. Il existe des études qui montrent une bonne innocuité des vaccins de 3ème génération mais on se pose encore la question de la durée de l’immunité. Des recommandations de rappel vaccinal ont été faites puisqu’on observe que l’immunité a tendance à baisser mais ça serait intéressant de pouvoir le vérifier et de voir l’efficience en vie réelle de ce rappel. Cela entraine d’autres questions comme les voies d’administration ; faut-il faire le vaccin en sous-cutané, en intradermique, etc. ? Il existe aussi de vraies questions sur l’innocuité et l’efficacité chez les femmes enceintes et les enfants, notamment car c’est une part non-négligeable de l’épidémie en RDC.
Pour les prochaines années, quelles sont les priorités de l’ANRS MIE en matière de réponses aux crises ?
S’agissant de la réponse aux crises, l’agence s’est appuyée sur l’expérience de son engagement face aux épidémies récentes dont certaines en 2023 pour construire un dispositif adapté, la réponse à l’épidémie de Covid-19 ayant été particulièrement structurante. L'agence travaille également à la ré évaluation de sa liste de pathogènes prioritaires dans le cadre du PEPR et des AAP.
Fort de l’expérience collective de la pandémie de Covid-19, l’ANRS MIE s’intéresse également aux axes de recherche sur la perception de la maladie Mpox, la question de la stigmatisation, l’infox, l’infodémie et l’acceptabilité du vaccin. Pour moi l’axe de recherche sciences humaines et sociales est vraiment important.
Quelle est la place de l’Agence dans la réponse mondiale ? Quelles sont les spécificités du positionnement de l’ANRS MIE ?
En terme de spécificités, à partir du moment où on part du spectre des émergences, nous ne sommes pas limités dans les axes de recherche. On a pu financer de la recherche fondamentale comme des études sciences humaines et sociales.
Nous avons un positionnement prégnant au niveau de l’Europe. Le directeur de l’Agence a par exemple été mobilisé par le sub-groupe HERA, l'Autorité européenne de préparation et de réaction aux urgences sanitaires. L’agence est donc mobilisée dans la coordination de la réponse à l’échelle Européenne. Nous avons aussi co-financé des mai 2024 un appel à projets de l’EDCTP (mettre le lien vest l’AAP EDCTP), un programme de recherche entre l’Europe et l’Afrique. Nous participons aussi à des consortiums de préparation de réponses aux épidémies.
Compte tenu de la dimension nécessairement internationale de la recherche sur les émergences, l’ANRS MIE finance un réseau partenarial structuré dans une dizaine de pays partenaires. On a donc pu très vite mobiliser tous les partenaires internationaux historiques en lien avec l’Agence, et ils nous ont très vite alertés, fin 2023. Je pense que notre force, c’est la réactivité dont peut faire preuve l’Agence, grâce à ces partenaires. On peut compter sur des partenariats de recherche en RDC, au Sénégal, au Cameroun, en Guinée, au Cambodge, au Vietnam, au Burkina Fasso, en Zambie, en Côte d’Ivoire. Enfin, le projet Afroscreen est un projet d’appui au séquençage génomique dans 13 pays d’Afrique. C’est notamment par le biais de ce projet que l’équipe de l’INRB a pu séquencer, mettre en évidence et publier ce nouveau sous-type 1b. Il existe l’équivalent de cette surveillance génomique en France, qui est soutenu par Santé publique France pour la surveillance et l’ANRS MIE sur le volet recherche, le consortium EMERGEN. Une plateforme de surveillance initialement orientée SARS-CoV, et qui maintenant se mobilise pour la surveillance d’autres émergences, dont le mpox.
Pour conclure, pensez-vous que nous sommes outillés, en France, pour répondre à cette épidémie ?
Il existe une vraie volonté de la part de l’Agence de structurer et de répondre à l’émergence avec des programmes de recherche qui se mettent en place sur la préparation (dans le cadre de la stratégie SA-MIE, France 2030) et donc des financements sont débloqués en amont des émergences pour les prévenir et avancer sur les contre-mesures le cas échéant. Il y a aussi une structuration de la réponse, au sein de l’Agence par exemple, ce dispositif de crise n’existait pas avant le Covid. Je pense qu’il y a aussi une vraie volonté de coordination et de structuration à l’échelle européenne. Notre objectif est qu’il puisse y avoir des réponses concertées au niveau des pays, rapidement et permettant d’avoir une puissance suffisante pour répondre de façon robuste à une question.
[1] Les clades désignent les variations d'un même virus qui ont divergé au gré des mutations génétiques. Le clade 2 est le type qui a provoqué l'épidémie mondiale qui a débuté en 2022.
[2] Sujets adultes à haut risque d’infection par le VIH.
On observe sur une année, une augmentation du nombre de cas de mpox de plus de 80% par rapport aux données de 2022 sur le clade 1 et au 3 septembre2024 on constate une augmentation de plus de 140 % en 2024 par rapport à la même période en 2023.
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