Aide Médicale d’Etat (AME) : la nécessité de préserver un dispositif de santé publique
Communiqué de Presse
A l’occasion du débat au Parlement sur la politique migratoire de la France puis celle à venir du projet de loi de finances, la Société Française de Santé Publique (SFSP) s’inquiète d’une possible remise en cause du dispositif de l’Aide Médicale d’Etat (AME). Elle estime en effet qu’il est une composante essentielle des politiques de santé publique en vigueur dans notre pays.
Instituée en 1999, l’Aide Médicale d’Etat est le dispositif qui permet aux étrangers en situation irrégulière vis-à-vis du droit au séjour de bénéficier d’une couverture maladie, et ainsi d’accéder aux structures de santé pour se soigner. L’accès à l’AME est conditionné à des critères de résidence et de revenus (746 euros par mois). Contrairement à ce qui peut être affirmé par certains responsables politiques, le panier de soins des bénéficiaires de l’AME est restreint, comparativement à celui des bénéficiaires de la complémentaire CMU (CMU-C). En 2018, l’AME bénéficiait à 311 000 personnes, pour un coût de 903 millions d’euros, soit 0,5% du total des dépenses d’assurance maladie. Son budget pour 2019 s’établit à 943 millions.
Chaque année, l’AME donne lieu à un débat au Parlement dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances. Comme les média l’ont récemment rapporté, le gouvernement envisage de réformer le dispositif dans le sens d’une restriction à son accès ou de son périmètre. Il est notamment question d’instituer un ticket modérateur, de restreindre le panier de soins ou d’instaurer un contrôle du statut administratif des bénéficiaires à l’occasion de leur recours aux soins. Ces mesures ne pourraient que compromettre l’accès à la santé d’une population déjà très démunie.
L’ensemble des données disponibles montrent en effet que les bénéficiaires de l’AME sont « les plus défavorisés parmi les plus défavorisés » : en grande précarité, plus souvent malades et particulièrement exposés aux risques de santé en raison de leurs conditions de vie. Il est observé une fréquence largement supérieure aux niveaux nationaux de nombreuses infections (infections aiguës des voies respiratoires, hépatites virales, VIH et tuberculose), de problèmes digestifs, cutanés, et de santé psychique, La moitié des personnes souffrent d’une pathologie chronique (diabète, hépatites, hypertension…). Le phénomène de retard dans le recours aux soins est massif, de même que le besoin de soins urgents, de retards dans le suivi de grossesse, les taux de vaccination sont faibles dans un contexte de retour de la rougeole et de la varicelle dans la population générale et enfin il existe une exposition élevée au risque de tuberculose.
« Nous sommes inquiets des restrictions qui pourraient être apportées à l’AME, car elles mettraient en péril cet outil d’accès aux soins et à la prévention qui constitue un filet de sécurité sanitaire pour les personnes concernées et pour l’ensemble de la population » déclare le Professeur Emmanuel Rusch, Président de la Société Française de Santé Publique. En effet, au-delà de son indéniable intérêt pour les personnes concernées, l’AME est également un outil puissant de réduction des inégalités sociales de santé autant que de réponse à des enjeux sanitaires collectifs.
Il est désormais question d’un « coup de rabot ciblé », qui viserait surtout à limiter le phénomène de fraude et les « excès ». Cependant, cette fraude est marginale puisqu’elle ne représente que 54 cas identifiés en 2014 et 38 en 2018. En 2017, le montant du préjudice du fait de fraudes avait été estimé par la CNAM-TS à 0.05% du montant total des dépenses AME de la même année. « En termes de santé publique, si l’on souhaite que l’AME produise les effets escomptés sur la population, l’enjeu est davantage celui de la lutte contre le non-recours que contre la fraude », estime le Professeur Pierre Lombrail, administrateur de la Société Française de Santé Publique.
A chaque remise en cause de l’AME, la communauté professionnelle de la santé publique se mobilise pour rappeler à quel point il ne serait pas pertinent de restreindre l’accès au dispositif ou l’étendue des soins auxquels il permet d’accéder. Récemment, encore, plus de 800 professionnels de santé ont exprimé leur inquiétude quant à cette volonté de limiter la portée de l’AME, auxquels se sont jointes de nombreuses organisations de santé, dont notre société savante et professionnelle.
A l’heure où notre pays débat, à l’occasion de la crise des urgences hospitalières, des modes pertinents d’organisation des soins de santé primaires, la Société Française de Santé Publique s’inquiète de la charge additionnelle que ferait peser la restriction de l’AME sur des services de santé déjà sous tension. « Quelles que soient les restrictions apportées à l’AME, les personnes concernées recourront aux soins, dans de mauvaises conditions pour elles et à un coût plus élevé pour la collectivité » anticipe le Professeur Rusch.
La grande fréquence des problèmes de santé des bénéficiaires de l’AME, leur plus grande exposition aux risques de santé en raison de conditions de vie marquées par la précarité, cumulée à la faiblesse de l’accès à une médecine préventive montrent la nécessité de sécuriser et de maintenir ce dispositif protecteur de la santé de la population. Si l’on souhaite améliorer celle-ci, c’est plutôt vers un renforcement de l’accompagnement aux soins et à la prévention et l’élargissement de l’accès à une couverture maladie qu’il conviendrait aujourd’hui d’aller.