COVID-19 et stratégie sanitaire de déconfinement : plaidoyer pour une mobilisation des compétences de tous pour plus d'équité en santé
Le déconfinement a été amorcé il y a quelques jours. L’une des composantes en est la « Stratégie de déploiement des tests, traçabilité des contacts et mesures d’isolement et de mise en quatorzaine »[1]. Il est précisé que « la réussite de la stratégie de mise à l’écart des cas positifs (en isolement) et de leurs contacts (en quatorzaine préventive) est essentielle pour casser les chaînes de contamination du Covid-19 et repose sur les principes opérationnels » d’un isolement « consenti, expliqué et accompagné ». Ce processus de santé publique est complexe sur le plan organisationnel, mais aussi en termes d’acceptabilité et d’accompagnement, notamment pour les publics les plus en difficulté socialement. La démarche de promotion de la santé et d’éducation pour la santé doit permettre de rendre ce processus plus équitable pour tous. En regard des points de vigilance identifiés, il est proposé des réponses efficaces et éthiques dont la mise en œuvre sera promue par les signataires de ce texte, en lien étroit avec leurs partenaires.
Une vigilance rappelée par l’instruction interministérielle
Les conduites à tenir prennent en compte les problématiques sociales susceptibles d’interférer avec la mise en œuvre effective de ces principes : « Outre les critères cliniques, des critères socio-environnementaux doivent être évalués pour articuler au mieux la prise en charge à domicile en médecine de ville. L’évaluation sanitaire peut être complétée par une évaluation des besoins d’accompagnement social, sur signalement des professionnels prenant en charge les patients et leurs personnes contact sous la responsabilité de la cellule territoriale d’appui ». En association avec les collectivités territoriales et en articulation avec les Agences régionales de santé, « les Préfets de département sont chargés de mettre en œuvre une cellule territoriale d’appui à l’isolement (niveau départemental voire infra-départemental) dont ils assurent les moyens de fonctionnement pour recueillir les besoins des personnes isolées, sur un plan social, matériel et de soutien psychologique ». Ils sont également chargés d’« organiser la mise en œuvre des accompagnements requis » dont « le portage contractuel et financier » reste à préciser.
La conception de ce dispositif appelle donc à la vigilance notamment sur sa capacité à ne pas accentuer les inégalités sociales de santé déjà fortement accrues durant le confinement.
Prévenir les impasses dans un certain nombre de situations encore mal identifiées ou reconnues
Aujourd’hui, par exemple, plus de 20% des mineurs vivent dans une famille monoparentale (données Insee). Dans ce contexte familial, l’analyse fine de la situation et la prise en compte des besoins sociaux spécifiques sont cruciales pour l’efficacité du dispositif. Si dans certaines situations, il sera possible de mobiliser l’autre parent ou de solliciter le réseau amical et familial, qu’adviendra-t-il quand les parents isolés ne pourront pas s’appuyer sur un tel réseau ? Comment sera-t-il possible de concilier l’isolement d’un parent et les soins aux enfants présents le jour et la nuit ? La mise en place de solutions adaptées ne suffira pas, il sera indispensable de communiquer de façon transparente sur ces solutions et de garantir aux parents élevant seuls leurs enfants que la vie quotidienne de la famille restera possible. Dans le cas contraire, de fortes résistances à la consultation en cas de symptômes Covid-19 seront à craindre. Un parent ne bénéficiant d’aucun soutien social et n’ayant aucune garantie qu’il recevra les aides dont il a besoin, ne prendra pas le risque d’être mis dans l’incapacité d’assurer son rôle auprès de ses enfants.
Une attention toute particulière devra être apportée aux familles pour lesquelles un suivi social est déjà en place et aux parents dont la crainte d’être séparés de leurs enfants empêche ou freine les demandes d’aide et de soutien. L’articulation avec les associations d’aide à domicile, les techniciens de l'intervention sociale et familiale… sera très importante à organiser en amont de façon à répondre au mieux et au plus vite aux besoins des familles.
Accompagner avec compétence et bienveillance
Une implication judicieuse des acteurs de première ligne (collectivités locales, associations, communautés, etc.) est donc nécessaire. Elle doit s’inscrire dans une logique de réduction des risques, intégrant de façon prioritaire certaines populations : personnes démunies, précarisées, incarcérées, en difficulté de littératie, personnes malades chroniques ou en situation de handicap, personnes sans domicile fixe, usager.e.s de drogues… Cette approche permettra de rendre les mesures plus adaptées, plus efficaces et moins stigmatisantes. Citons par exemple l’impossibilité de procéder au contact-tracing auprès des étranger.e.s sans papiers, les conséquences économiques désastreuses d’un nouvel arrêt de leur activité pour les travailleur.euse.s du sexe, ou l’extrême difficulté d’un isolement « strict » quand les conditions d’habitation entraînent le sentiment de mettre ses proches en danger. La situation des résidents en foyers de travailleurs migrants ou de jeunes travailleurs nécessite une approche spécifique car il est impossible de vivre dans ces foyers sans utiliser les espaces communs (cuisine et sanitaires).
Le travail avec ces publics dans le contexte anxiogène de la crise sanitaire nécessite des compétences pointues dans l’établissement d’un diagnostic psychosocial et dans la mise en œuvre d’une démarche éducative en santé fondée sur une information et un accompagnement adaptés, seuls à même d’entraîner « l’observance des mesures d’isolement et de quatorzaine » qui est visée. Une approche perçue comme répressive ou trop « offensive » risque d’entraîner un rejet des mesures proposées et une baisse de l’efficacité de la stratégie, notamment par la constitution de chaînes de contamination invisibles.
La nécessaire contribution de nombreux acteurs pour la réussite de cette stratégie
Sont identifiés dans l’instruction ministérielle « les collectivités territoriales et leurs opérateurs, CCAS/CIAS, entreprises et associations d’aide à domicile, opérateurs de l’économie sociale et solidaire, la Poste, grandes surfaces pour les courses… ». Les modalités de coordination, de supervision, d’interconnexion, de formation ou d’accompagnement de ces acteurs dans leur contribution au dispositif ne sont pas décrites. Il est important de rappeler les risques d’un fonctionnement en silo et d’une segmentation par milieux peu favorables à une prise en charge efficace de la complexité des situations, comme celles décrites ci-dessus. De plus, il est nécessaire dans cette démarche de bien clarifier les échelles des collectivités locales à impliquer (communes, Communautés de communes, Communautés d'agglomération, Métropole…, en privilégiant l’échelon de collectivités le plus proche de la population), selon les contextes (très urbain, semi urbain, rural, ultra marin, etc.) et les modalités de mobilisation (association systématique à des cellules de crise et/ou de coordination, etc.).
Dans ce paysage, les élus locaux et les acteurs de la promotion de la santé sont des ressources mobilisables pour une meilleure prise en compte de ces points de vigilance. Toute démarche de santé publique s’appuie sur quatre leviers : la surveillance et l’épidémiologie (les Cellules d’intervention en région de Santé publique France, les Observatoires régionaux de santé, les Universités…), le dépistage et les soins (tous les acteurs mentionnés dans l’axe 2 de la stratégie), mais aussi les professionnels de la promotion de la santé et les élus locaux. Ces deux dernières catégories d’acteurs sont en capacité de mobiliser des leviers essentiels à une mise en œuvre efficace des mesures : « La réflexion sur les stratégies de sortie du confinement, nécessairement graduelles, soulève l'impérieuse nécessité de s'appuyer sur la démocratie sociale et sanitaire et sur les savoir-faire issus des démarches communautaires en santé. La préparation de la sortie de crise appelle l'implication de tous les acteurs de la société, à commencer par les citoyens, mais aussi les instances de démocratie en santé, les représentants des usagers du système de santé et des personnels de santé, les partenaires sociaux, bref les forces vives de la nation. »[2]
Fédérer les organisations
La coordination des acteurs impliqués doit s’appuyer sur un « quadriptyque » composé de structures de l’Etat et de l’Assurance maladie, des collectivités territoriales, du tissu associatif dans toutes ses composantes (sanitaire, sociale, éducative…) et des professionnels de santé du premier recours. Les collectivités territoriales sont à l’origine ou parties prenantes de nombreux dispositifs à même d’apporter une contribution essentielle à cette coordination : contrats locaux de santé, conseils locaux de santé mentale, ateliers santé ville, communautés professionnelles territoriales de santé, maisons de santé pluridisciplinaires, centres de santé… mais aussi écoles, entreprises, territoires, transports, milieu de travail, prise en charge médicosociale, instances de démocratie en santé etc. Il est crucial d’identifier les multiples instances de concertation, d'animation et de coordination rattachées à des cadres de vie particulièrement sensibles, et de faciliter leur fonctionnement : Conseil des écoles, Comité social et économique (CSE) des entreprises, Comité des usagers des transports en commun, Conseils de la vie sociale des établissements médico-sociaux, syndic de copropriétés, etc. via la mise en œuvre de réunions « exceptionnelles ».
Les compétences des collectivités et leur capacité d’agir sur des déterminants environnementaux de la santé comme l’aménagement du territoire, l’urbanisme ou le logement, en font des partenaires incontournables – et pas seulement des effecteurs - de la mise en œuvre de tous les axes de la stratégie, en particulier de l’axe 3 : « Assurer l’effectivité de l’isolement des cas positifs et de la quatorzaine de leurs contacts ». De même, les acteurs de la promotion de la santé ont des missions de coordination et de mise en cohérence des acteurs de terrain du niveau local au niveau régional ; leur savoir-faire dans la mise en place d’instances de concertation locales et de démarches communautaires en santé est aujourd’hui insuffisamment mobilisé. Ces acteurs doivent être associés à la stratégie aux niveaux départemental et régional, dès son élaboration et dans le suivi de sa mise en œuvre.
Donner sa juste place à la démarche éducative
L’adhésion des individus et des groupes (familles, communautés…) aux mesures mises en place suppose l’adoption, par les professionnels prenant en charge les patients et leurs personnes contact, d’une posture éducative visant à développer les compétences des publics auxquels ils s’adressent. Il s’agit de compétences cognitives, sociales, émotionnelles, qui permettront à ces publics de prendre, en conscience, les décisions qui leur semblent être les plus favorables à leur santé et à leur qualité de vie, ainsi qu’à celles de leurs proches. Ces compétences psychosociales et d’adaptation font l’objet de démarches d’éducation pour la santé et d’éducation thérapeutique bien maîtrisées par les acteurs de la promotion de la santé et de nombreux acteurs du soin. Sans la mobilisation de ces expertises, il est à craindre qu’une partie de la population concernée ne se détourne des tests et des mesures d’accompagnement qui leur sont associées.
De nombreux observateurs ont constaté que le confinement avait eu pour effet de révéler mais aussi d’accroître les inégalités sociales de santé. Un confinement « strict » pourrait avoir pour effet de renforcer encore ces inégalités. Nos propositions
visent à accompagner « le déploiement des tests, la traçabilité des contacts et les mesures d’isolement et de mise en quatorzaine » de la stratégie sanitaire de déconfinement pour les populations présentant des fragilités spécifiques, et à en potentialiser les effets positifs attendus : « éviter une reprise épidémique et un phénomène de deuxième vague », par l’application de mesures strictes de renforcement de l’équité en santé. |
Accéder au communiqué au format pdf ici.
[1] L’instruction interministérielle définissant les modalités de mise en œuvre de cette stratégie est disponible ici : https://www.uniopss.asso.fr/sites/default/files/fichiers/uniopss/instruction_interministerielle_signee.pdf
[2] Déclaration du Directeur général de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) - 13 avril 2020