Portrait de Frédéric Denis, nouveau rédacteur en chef de la revue Santé Publique
A la suite de la désignation par le Conseil d'Administration de la SFSP de Frédéric Denis comme Rédacteur en chef de la revue Santé publique, nous nous sommes entretenu avec lui à propos de son parcours professionnel, ses attentes et son rôle au sein du Comité de rédaction mais aussi des perspectives qu'il envisage pour son mandat de 3 années dans cette fonction.
PORTRAIT
INTERVIEW DE :
Frédéric Denis
RÉDACTEUR EN CHEF DE LA REVUE SANTÉ PUBLIQUE
MAITRE DE CONFÉRENCES DES UNIVERSITÉS
PRATICIEN HOSPITALIER EN SANTÉ PUBLIQUE
DIRECTEUR DU SERVICE ODONTOLOGIE DU CHU DE TOURS
Bonjour Frédéric Denis, vous venez d'être nommé Rédacteur en chef de la revue Santé publique. Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?
Mon parcours professionnel est assez atypique dans le champ. J’ai débuté ma carrière par un exercice libéral de chirurgien-dentiste en région Bourgogne Franche-Comté. Après 16 ans d’activité, j’ai fait le choix de m’orienter vers le secteur hospitalier, en intégrant la structure psychiatrique du Centre Hospitalier La Chartreuse à Dijon, un établissement prenant en charge les personnes en situation de handicap psychique. Marqué par l’état de santé bucco-dentaire très dégradé de ces patients, je me suis questionné plus largement sur cette problématique. De ce questionnement a germé mon intérêt pour d’autres thématiques de santé publique, en ce qui concerne d’une part, l’organisation des soins et les parcours de soins mais aussi concernant la promotion de la santé, la littératie en santé et la mesure de la subjectivité en santé dans le contexte de la maladie mentale.
Je me suis ensuite orienté vers une carrière hospitalo-universitaire, et je suis actuellement Maître de conférences des universités et praticien hospitalier (habilité à diriger les recherches) en santé publique à l’Université et au CHU de Tours, ou je dirige le service d’odontologie. Mon laboratoire de rattachement est l'EA Education Ethique Santé.
Au cours de mon exercice au sein du CH La Chartreuse, j’ai été confronté « brutalement » à la réalité de la psychiatrie, et cela m’a donné l’occasion de prendre la mesure des difficultés rencontrées par les professionnel.le.s de santé, mais aussi des problématiques de la santé mentale au sens large (accompagnement du handicap psychique, parcours de soins, stigmatisation, etc.). Je n’étais pas familiarisé avec ces questions, ce fut pour moi une découverte. Ayant des attaches dijonnaises, je me suis approprié la théorie du « maitre ignorant » de Joseph Jacotot, qui favorise l’émancipation intellectuelle et le pas de côté qui permet un autre regard. C’est en tout cas dans cet esprit que j’ai abordé ces questions et c’est en ce sens que je me définis comme un acteur de santé publique de terrain avant tout.
Dans quelles circonstances avez-vous intégré l'environnement de la revue Santé Publique ?
J’ai eu l’occasion de publier des articles dans la revue, sur certains de mes travaux de recherche. En 2018, j’ai répondu à l'appel à candidatures visant à intégrer le Comité de rédaction et mon dossier a été retenu par le comité de sélection. Au sein du comité, j’ai beaucoup apprécié la méthode de travail mise en place par le Rédacteur en chef, Jean-Claude Henrard. Admirablement animé par la coordinatrice de la revue Hélène Kane, j’y ai trouvé une ambiance de travail chaleureuse, un accueil agréable, et surtout une ligne éditoriale en phase avec les valeurs que je porte.
En tant que nouveau Rédacteur en chef, quels projets comptez-vous porter pour la revue Santé publique ?
Lorsqu’on postule à la fonction de Rédacteur en chef, il est d’usage de présenter un projet pour son mandat à venir. Je pourrai le définir en 3 points :
- Le fonctionnement interne. Poursuivre les processus de pré-sélection et de sélection des articles qui ont été instaurés dans un esprit collégial et avec des débats riches et argumentés entre les membres du Comité de rédaction.
- Le positionnement de la revue. La revue possède beaucoup d’atouts : son indexation PubMed, la valorisation des initiatives et expériences de terrain en santé publique et cette idée de « bottom-up », mais aussi son tropisme pour la francophonie. Au-delà de ces atouts, il est nécessaire de pousser la réflexion un peu plus loin. L’indexation PubMed n’est pas inscrite dans le marbre, il est important de la conserver. La publication de nos articles en français est également un point important de réflexion. Doit-on glisser vers des articles anglophones pour améliorer nos facteurs d’impact et donc, conserver plus facilement notre indexation, mais en prenant le risque de perdre notre lectorat ? Nous sommes sur une ligne de crête concernant ces questions et nous devrons pousser notre réflexion.
- Le modèle économique de la revue. Actuellement, la publication d’articles dans la revue Santé publique est gratuite pour les auteurs. C’est un point d’attractivité bien sûr, mais qui, dans le cadre du « tout numérique » vers lequel on s’oriente de plus en plus dans le domaine de l’édition scientifique, fragilise les équilibres. Donc nous en venons à nous poser la question suivante : doit-on envisager d’instaurer une participation financière des personnes qui proposent des articles à notre revue ? Le modèle « payer pour publier » s’impose de plus en plus dans le paysage de la publication scientifique. En tant que membre du comité éditorial de certaines revues anglo-saxonnes, notamment de PLOS One qui a été l’une des premières revues à proposer un modèle de ce type, j’ai pu en observer les avantages et les inconvénients. Il faut pouvoir discuter de ce sujet sans tabou ni démagogie, et essayer d’avoir une réflexion argumentée et qui puisse faire consensus au sein du Comité de rédaction et du Conseil d'Administration de la SFSP.
Si l’on souhaite élargir notre lectorat, nous sommes tenus de nous poser ce genre de question. Voici en tout cas les principaux éléments que j’ai porté lors de ma candidature. Face à cela, j’ai également proposé quelques solutions ; par exemple, une revue indexée (la revue Santé publique) qui pourrait éventuellement associer dans son sillage une autre revue qui ne le serait pas. C’est ce qu’on appelle une « revue mère » et une « revue fille ».
Ces débats auront lieu dans les prochains mois.
Si l’on résume, pouvez-vous nous proposer trois grandes perspectives pour la revue, que vous souhaiteriez mettre en œuvre dans les années à venir en tant que Rédacteur en chef ?
- Continuer d’affermir la place des acteurs de terrain dans la valorisation de leurs actions au sein de notre revue. Ceci en questionnant en parallèle le format actuel de la revue Santé publique comme vecteur efficace de leurs actions. Un modèle de revue qui permettrait de s’exonérer du format IMRAD pourrait être une formule moins contraignante. On en revient à la proposition d’une revue dite « fille », francophone et qui serait un outil à la disposition des acteurs de terrain.
- Poursuivre la réflexion concernant le modèle économique de la revue comme je l’ai indiqué précédemment.
- Valoriser les retours d’expérience des acteurs de terrain et promouvoir des articles académiques de haut niveau. Sans oublier la place de la rubrique internationale et notre rôle en tant que promoteur de la francophonie. A ce sujet, un article récemment paru dans le Lancet discutait de l’hégémonie de la langue anglo-saxonnes dans le cadre de la production scientifique et de l’importance de soutenir des publications en français pour enrichir le débat scientifique.
Bien sûr, une fois que l’on ouvre ces questionnements, on se retrouve à nouveau dans une situation très ambivalente. Ce sont des questions complexes qui nécessitent un temps de réflexion conséquent et beaucoup d’échanges.
Et qu’advient-il de l’aide à la rédaction proposé par la revue Santé publique ?
L’aide à l’écriture est toujours possible, mais encore une fois, dans quel format ? C’est ça, le sujet de fond. Vous avez un acteur de terrain qui a réalisé des actions qu’il a envie de mettre en avant. La rédaction de son travail, sous quelle forme faut-il la mener ? Est-ce qu’il faut la mener pour la revue Santé publique ? Et dans ce cas, on se retrouve à avoir des difficultés à faire entrer au chausse-pied un travail dont la structuration ne répond pas forcément aux critères nécessaires dans le cadre de l’indexation PubMed. Ne serait-il pas plus facile de l’orienter vers une rédaction plus libre grâce, notamment, à l’aide à l’écriture ? Dans ce cadre-là, on serait dans le cas d’une revue non indexée, toujours sous l’emblème de la revue Santé publique, mais qui n’aurait pas l’ambition d’être portée dans le cadre de la revue indexée.
On se prive parfois de certains articles dont le contenu est intéressant, et pour lequel on a du mal à définir la structuration spécifique pour un article dit scientifique. Donc l’aide à la rédaction doit arriver bien en amont, et pas uniquement quand l’article arrive sur le bureau du Comité de rédaction. Nous allons poursuivre nos efforts, et il y a probablement des éclaircissements à apporter à notre lectorat concernant cette aide à la rédaction.
Pouvez-vous détailler quelles seront vos principales missions en tant que Rédacteur en chef et comment fonctionne actuellement le Comité de rédaction ?
Le Rédacteur en chef travaille en articulation avec ses adjoints, qui sont au nombre de trois. Nous sommes en train de sélectionner deux nouveaux rédacteurs en chef adjoints pour prendre le relais de Christine Ferron et de Cécile Fournier aux rubriques « Pratiques et organisation des services de santé » et « Politiques, expertises et interventions en santé publique ». Le mandat de la rédactrice en chef adjointe en charge de la rubrique « Afrique et perspectives internationales », Fatoumata Hane, est encore en cours. Pour sa part, le Comité de rédaction est composé d’une vingtaine de membres et est sollicité pour sélectionner les articles soumis au processus de révision par les pairs et pour animer le débat sur les orientations de notre ligne éditoriale; au plus proche de l’actualité et des grands enjeux de santé publique auxquels nous sommes et seront confrontés. Le renouvellement du Comité de rédaction est lui aussi prévu au cours de cette année. Un appel à candidatures circulera plus tard dans le printemps.
Pour finir, le rédacteur en chef doit être le garant de l’indépendance éditoriale de la revue tout en se faisant le porte-parole des prises de position du Conseil d’administration de la SFSP auprès de son Comité de rédaction.